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Canada : du gaz, des pipelines et des Indiens

Si le Canada a pris des engagements en faveur du climat, notamment en réduisant ses émissions de CO2, le projet de gazoduc qui traverse la Colombie-Britannique (côte ouest) met en image le paradoxe du gouvernement d’Ottawa sur les enjeux écologiques. Celui-ci se retrouve également en porte-à-faux sur ses relations avec les peuples autochtones puisque le pipeline passe par leurs terres ancestrales, provoquant des manifestations, comme en février 2020.

Le Canada a régi ses relations avec les Premières nations indiennes en 1876 par l’Indian Act. Cette loi avait un objectif assimilationniste en définissant le statut des Amérindiens tout en les encourageant à quitter leurs cultures. Ils étaient alors, avec leurs terres, placés sous la tutelle d’Ottawa. Ces Premières nations (Indiens d’Amérique du Nord, Métis et Inuits) représentent 4,9 % de la population du Canada en 2016, soit 1,67 million de personnes. Dans les systèmes de gouvernance autochtone, il y a le Conseil de bande élu au suffrage universel, qui incarne l’autorité en lien avec le gouvernement fédéral, et les chefs héréditaires, qui sont les aînés. Si la Cour suprême a reconnu l’autorité de ces derniers sur leurs terres ancestrales en 1997, leur pouvoir réel n’est pas défini légalement.

Des terres ancestrales et riches en hydrocarbures

Le chantier du gazoduc Coastal GasLink est prévu pour traverser la Colombie-Britannique sur 670 kilomètres, reliant le nord-est de l’État, à proximité de Dawson Creek, où se situe le lieu d’extraction par fracturation hydraulique du gaz, à Kitimat, à l’ouest, sur un bras de l’océan Pacifique, où un terminal méthanier sera installé pour exporter du gaz liquéfié vers le marché asiatique à partir de 2023. Le coût total est évalué à 26 milliards d’euros. Avec ses forêts (40 % du territoire) et son image de pays vert, le Canada est pourtant le sixième producteur d’énergie au monde, possédant les troisièmes réserves de pétrole derrière le Venezuela et l’Arabie saoudite. Ces ressources, situées dans des zones presque inhabitées, il faut les transporter.

Le tracé du Coastal GasLink passe sur 190 kilomètres dans les terres ancestrales de la communauté Wet’suwet’en. Alors que ses leaders élus ont donné leur accord, les chefs héréditaires s’opposent au projet en s’appuyant sur la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui édicte leur « droit de définir et d’établir des priorités et des stratégies pour la mise en valeur et l’utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources » (article 32). Le conflit court depuis de nombreuses années puisqu’ils avaient proposé un tracé alternatif en 2014, refusé par la société Coastal GasLink. Celui-ci passait plus au nord, également sur le territoire des Wet’suwet’en, en suivant un chemin utilisé par le Pacific Northern Gas, un autre pipeline. Pour les maîtres d’œuvre, ce tracé aurait obligé à un détour de 89 kilomètres pour un surcoût d’entre 400 millions et 525 millions d’euros tout en impactant quatre autres nations indiennes non consultées. Le diamètre important du pipeline (121 centimètres), plus large que celui du Pacific Northern Gas, rendait impossible son installation.

Les chefs héréditaires Wet’suwet’en ont alors décidé début février 2020 de mettre en place des actions de blocage. La circulation des trains de voyageurs et de marchandises a été perturbée dans l’ensemble du pays avec de grosses répercussions sur l’économie.

Les chefs disent avoir l’autorité sur ce territoire ancestral, tandis que les élus du Conseil de bande se limitent aux réserves attribuées par le gouvernement au XIXe siècle. Ce conflit fait donc remonter des revendications plus profondes sur le droit aux terres et sur l’assimilation de ces peuples autochtones par les colons britanniques.

Un enjeu économique majeur

Ce combat des peuples autochtones se retrouve au cœur des enjeux énergétiques du pays et notamment dans la province de l’Alberta voisine, à l’est de la Colombie-­Britannique, qui produit la grande majorité de l’énergie primaire du pays (pétrole brut et gaz naturel). En février 2020, un mégaprojet de mine de sable bitumineux à ciel ouvert, Teck Frontier, devait d’ailleurs y être engagé avant un revirement inattendu de l’entreprise Teck Ressources qui a décidé d’y surseoir.

La Saskatchewan, province plus au centre du pays, fournit aussi de l’énergie grâce à ses gisements d’uranium du nord, qui ont une teneur en minerai parmi les plus riches au monde, faisant du Canada le deuxième producteur mondial.

Avec ses 10,6 % du PIB (221 milliards en 2018), dont 5,6 % pour le gaz et le pétrole, l’énergie est ainsi un secteur économique primordial pour le Canada, dont les exportations représentent 23 % des ventes de marchandises en 2018 ; une situation favorisée par la proximité des États-Unis, très énergivores, qui importent 95 % de la production canadienne de pétrole et de gaz.

Malgré de belles paroles en faveur de l’environnement, le gouvernement joue donc sur deux tableaux et continue d’appuyer l’installation ou l’extension de ces pipelines, le Canada restant un grand émetteur de CO2 avec 15,16 tonnes par habitant en 2014 (contre 4,57 pour la France).

Cartographie de Laura Margueritte

<strong>Énergie et transport au Canada</strong>
Article paru dans la revue Carto n°59, « L’Égypte d’Al-Sissi », mai-juin 2020.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

À propos de l'auteur

Julien Camy

Journaliste et cinéaste, chargé d’édition pour la collection Institut Lumière/Actes Sud. Auteur (avec Gérard Camy) du livre Sport & Cinéma (Éditions du Bailli de Suffren, 2016).

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