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L’Arctique, carrefour maritime mondial ?

Au-delà de sa variabilité saisonnière, la fonte moyenne de la banquise s’accélère d’année en année. Le passage des navires classiques est facilité, et la saison navigable rallonge. Deux routes intercontinentales existent déjà : le passage du Nord-Ouest, qui longe l’Alaska et traverse l’archipel canadien, et la route du Nord-Est, qui suit la côte russe. Pour l’instant, seule la seconde est réellement développée et praticable. Le premier, parsemé de détroits, dispose de peu d’infrastructures et d’aucun port en eaux profondes.

Ces routes polaires promettent des gains de temps par rapport aux voies traditionnelles. Au départ de Shanghai (Chine), la distance est réduite d’environ 4 000 kilomètres jusqu’à Rotterdam (Pays-Bas) par la route du Nord-Est, et de 6 000 kilomètres jusqu’à New York (États-Unis) par le passage du Nord-Ouest. En 2010, un pétrolier russe a emprunté la route du Nord-Est de Mourmansk (Russie) à Shanghai, pour une économie d’un million de dollars de fuel. L’Arctique est moins avantageux pour des trajets entre ports méridionaux, mais plus au nord, la distance peut être divisée par deux, comme de Mourmansk à Kobe (Japon).

Une navigation aléatoire et dépendante des glaces

Pour des raisons écologiques, des armateurs comme CMA-CGM ou MSC se sont engagés à ne pas emprunter les routes du nord, dont la rentabilité est d’ailleurs loin d’être assurée : les conditions de navigation demeurent extrêmement difficiles et l’assistance de brise-glace est nécessaire, même l’été, sur certains segments. De manière contre-intuitive, le réchauffement accentue les risques, qui génèrent d’importants surcoûts d’assurance. Les tempêtes polaires se font plus fréquentes, et les glaces dérivantes rendent les tracés plus imprévisibles. Cette variabilité s’adapte mal à la logistique de flux tendus caractéristique du transport de marchandises, particulièrement sensible à l’aléa temporel. Le trafic reste ainsi irrégulier malgré le recul glaciaire : sur la route du Nord-Est, 13 passages ont été recensés en 2010, 71 en 2013, puis seulement 27 en 2018, contre 84 456 pour Malacca la même année (1).

L’essor des routes du nord est néanmoins porté par le trafic de destination, principalement énergétique. La Russie, surtout, investit massivement dans ses infrastructures arctiques. Le nouveau port de Sabetta exporte du gaz naturel liquéfié depuis la péninsule de Yamal, et une flotte de méthaniers brise-glace parcourt déjà la route du Nord-Est. Selon le ministère russe des Transports, le transit y est passé de 3,1 millions de tonnes en 2011 à 20,1 millions de tonnes en 2018.

Ces chiffres sont certes marginaux en comparaison du canal de Suez, dont le trafic a dépassé le milliard de tonnes en 2019, mais certains acteurs parient sur l’avenir des voies polaires. L’armateur chinois COSCO a effectué une vingtaine de passages sur la route du Nord-Est depuis 2013 et conclut à sa rentabilité économique, étude universitaire à l’appui. En 2019, c’est le danois Maersk qui a annoncé envisager un service de transport maritime arctique avec la Russie.

Difficiles d’accès, les routes du nord ne supplanteront pas les artères traditionnelles. Mais le commerce arctique n’en est qu’à ses balbutiements, et il est encore tôt pour prédire la place qu’il prendra dans le commerce mondial. 

<strong>La navigation en Arctique : défis et enjeux</strong>

NOTE
(1) Pauline Pic, « Naviguer en Arctique », in Géoconfluences, 14 février 2020. Voir aussi : Marion Soller, « Les nouvelles routes maritimes de l’Arctique », in Le Déméter 2020, IRIS Éditions, 2020, p. 307-308.

Article paru dans la revue Carto n°59, « L’Égypte d’Al-Sissi », mai-juin 2020.
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