Le Commonwealth est présenté par les partisans du Brexit, effectif depuis le 31 janvier 2020, comme l’alternative « naturelle » à l’Union européenne (UE) pour le Royaume-Uni. Formellement constituée en 1949, cette organisation comprend un quart des États du monde, répartis sur tous les continents, des Amériques à l’Océanie. Cet espace hérité de l’Empire colonial britannique est-il une option pour maintenir son statut de puissance économique mondiale ?
Sortir de l’Europe pour entrer dans le monde », tel était le slogan des partisans du Brexit lors du premier référendum de 1975 sur le maintien du Royaume-Uni au sein de la Communauté économique européenne (CEE), à peine deux ans après son adhésion. Ils défendaient un renforcement des liens au sein du Commonwealth aux dépens de l’appartenance à l’Europe communautaire. À l’époque, plus des deux tiers des Britanniques avaient refusé cette perspective et préféré rester dans la CEE. Plusieurs caricatures dans la presse britannique présentaient alors un paquebot « Commonwealth » qui prend l’eau et des Britanniques qui l’abandonnent et s’arriment à l’Europe par défaut. Au-delà du développement économique favorisé par l’abolition des barrières douanières entre membres, les Britanniques ont vu dans la CEE une opportunité pour venir en aide aux régions en crise du nord de l’Angleterre et ont été à l’origine des fonds structurels de la politique de cohésion.
Processus eurosceptique
Malgré ce choix, les discours eurosceptiques séduisent progressivement une majeure partie de l’opinion britannique. Sorti vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni n’a pourtant pas été épargné par la décolonisation et la perte d’influence mondiale qui en a découlé. Le discours eurosceptique s’articule alors autour de plusieurs représentations : la nostalgie de grande puissance de l’époque impériale, la crainte de perte de souveraineté au profit de la communauté européenne, une disparition de l’identité britannique diluée dans l’Europe. Les journaux et tabloïds britanniques glissent progressivement vers des discours provocateurs et souvent simplistes sur l’Europe qui impose ses diktats au royaume. Ils trouvent d’autant plus d’écho dans le contexte de la crise financière de 2008 et d’adoption de politiques d’austérité drastiques pour tenter de la juguler. Un an avant le référendum de juin 2016 sur le Brexit, l’Eurobaromètre (no 83, 2015) révèle que la moitié des Britanniques estiment que leur pays pourrait mieux faire face à l’avenir s’il était en dehors de l’UE, alors que les Européens ne sont qu’un tiers à penser la même chose. Cette question fracture également les principaux partis politiques, en particulier les conservateurs, dont une majorité défend le Brexit sous l’égide de l’actuel Premier ministre, Boris Johnson (depuis 2019), et sous l’influence du parti UKIP.
Depuis 2016, les Brexiters fondent de nouveau beaucoup d’espoirs sur le Commonwealth, avec lequel ils comptent renforcer les liens économiques et politiques pour compenser la sortie de l’UE. Sur le papier, cet ensemble d’États est plus impressionnant que l’Union. Avec 54 pays et près de 2,4 milliards d’habitants (contre à peine 450 millions pour l’UE) – dont plus de la moitié composée d’Indiens –, le Commonwealth constitue le tiers de l’humanité. À quelques exceptions près (comme le Mozambique ou le Rwanda), il correspond en grande partie à l’étendue de l’Empire britannique au début du XXe siècle ; notons que l’Irlande refuse d’y adhérer. Les critères d’entrée sont relativement souples : ratifier une charte et en accepter les principes et les valeurs, être un État souverain, reconnaître la reine Elizabeth II (depuis 1952) comme cheffe (bien que son rôle soit honorifique), utiliser l’anglais comme langue commune. Le Commonwealth représente 17 % du PIB mondial (2018), soit presque l’équivalent de celui de l’UE sans les Britanniques.
La force économique de l’UE
L’UE compte cinq fois plus que le Commonwealth pour le Royaume-Uni dans ses échanges commerciaux. En 2017, elle représente 53 % de ses importations et 45 % de ses exportations, contre à peine 11 et 10 % pour le Commonwealth. L’autre difficulté pour le Royaume-Uni concerne le manque de respect de nombreux États envers les valeurs de la charte : 36 d’entre eux pénalisent l’homosexualité, 20 appliquent la peine de mort et plusieurs ne préservent pas la liberté de la presse. Cet ensemble ne constitue pas non plus un espace aussi homogène que l’UE. La diversité est bien plus flagrante pour le Commonwealth qui compte de grands États très peuplés (Inde, Pakistan) ou peu peuplés (Canada) et de très petits (pour la plupart insulaires qui ne comptent que quelques dizaines de milliers d’habitants).
Si les échanges entre les pays du Commonwealth sont indéniablement facilités par le partage d’une même langue et généralement de mêmes systèmes judiciaires, normes et régulations, et que certains de ces États (Australie, Nouvelle-Zélande, Inde) ont manifesté un intérêt à développer des accords de libre-échange avec le Royaume-Uni, les disparités sont considérables entre ceux parmi les plus riches (Singapour, Australie, Royaume-Uni) et les plus pauvres du monde (Sierra Leone, Mozambique). L’éclatement géographique ne facilitera pas non plus l’accroissement des échanges dans un contexte de raréfaction des ressources pétrolières.
