Les débats autour de la nécessité d’une Space Force, distincte de l’armée de l’Air, ont duré longtemps. Un service spécifique a enfin été créé, dans une structure de forces complexe. L’USSF sera-t-elle indépendante ?
Jay Raymond : Le National Defense Authorization Act de 2019 a établi l’United States Space Force. Il a officialisé, dans la loi, la nécessité d’un service indépendant pour faire face à la convergence des intérêts nationaux et des menaces introduites par des adversaires potentiels. En tant que branche militaire la plus récente depuis plus de 70 ans, la Space Force s’est concentrée sur les éléments qui définissent vraiment l’indépendance : le développement professionnel de notre personnel, la présentation des forces aux généraux commandant les commandements de combat (1), la conception des forces, un budget indépendant et une doctrine de puissance spatiale.
Notre nation a reconnu que, pour entrer en compétition, dissuader et gagner un conflit moderne, il fallait à la fois une puissance aérienne dominante et une puissance spatiale dominante. Ce concept a été codifié dans la National Security Strategy de 2017, qui décrivait un environnement de sécurité nationale en évolution, identifiant clairement l’espace comme une arène de compétition entre grandes puissances. L’échelle, la portée, la complexité et le rythme des opérations spatiales en augmentation rapide ont exigé un service indépendant axé sur ce domaine.
Les civilisations modernes dépendent de l’accès et de la liberté de manœuvre dans l’espace. Nos adversaires s’en rendent compte. Même si nous ne voulons pas qu’un conflit commence ou s’étende dans l’espace, nous ne pouvons tolérer qu’une dépendance croissante à l’égard de ce domaine devienne une vulnérabilité pour nous et pour nos alliés et partenaires. En tant que service indépendant, la Space Force a pour mandat d’être un pionnier, un partenaire et un protecteur afin de garantir les intérêts de l’Amérique en tant que nation spatiale… pour préserver la liberté d’action dans l’espace, permettre la létalité et l’efficacité de la force interarmées, et offrir des options indépendantes aux décideurs – dans, depuis et vers l’espace.
Les opérations multidomaines (MDO) et leurs enablers seront le pilier des forces américaines et, probablement, de bon nombre de leurs alliés, à l’avenir. Dans le même temps, l’espace joue un rôle central dans les MDO. L’USSF a-t-elle une telle vocation à devenir le « service permettant les MDO » ou un « service de gestion de l’information » ?
Les missions que notre nation mène aujourd’hui dans l’espace sont les missions les plus conjointes et interopérables du ministère de la Défense. L’espace est, par sa nature, multidomaine, et la puissance spatiale est à la base des opérations conjointes depuis des décennies.
La génération de la puissance spatiale militaire nécessite intrinsèquement des opérations multidomaines puisqu’une partie de nos systèmes se trouvent sur Terre, d’autres en orbite au-dessus de la Terre, et que les informations se déplacent en toute sécurité au long des liaisons de données les reliant. Nous devons examiner comment les éléments terrestres, orbitaux, spectraux et cyber convergent pour permettre la mission ; et nous devons presque toujours réfléchir à l’impact de cette mission sur les forces conjointes et les partenaires de la coalition.
Ce qui est devenu de plus en plus clair à partir de l’analyse des menaces et du wargaming, c’est que nos capacités doivent évoluer pour faire face à la menace. Pour rester en tête, nous développons une capacité à défendre nos capacités actuelles, tout en passant à une architecture plus résiliente à l’avenir. Si la dissuasion échoue et que le conflit commence, nous ne pouvons pas « protéger et défendre » notre chemin vers la victoire – nous devons nous assurer que l’Amérique et ses alliés ont également la capacité de vaincre les menaces et d’imposer des coûts à un adversaire à tel endroit, à tel moment, dans un domaine de notre choix. Enfin, nous examinons des missions, telles que le renseignement tactique, la surveillance et la reconnaissance, qui peuvent passer de leur domaine actuel à l’espace. Et il est impératif que nous développions, testions, évaluions ces nouvelles capacités et que nous nous y formions.
En même temps, nous avons la responsabilité de soutenir notre mission d’enabler puisque les capacités spatiales garantissent celles des forces interarmées. Le commandant du Commandement spatial américain soutient quotidiennement tous les commandements de combat. Les services que nous fournissons, tels que les communications par satellite et le GPS, sont essentiels à toutes sortes d’opérations, tant civiles que militaires. Nous sommes donc déjà le service qui fournit une base pour les opportunités multidomaines. La Space Force sera un acteur majeur de l’évolution des opérations multidomaines.
L’avantage bascule vers la force qui peut le mieux intégrer les informations, les données et les capacités dans tous les domaines. Et si l’espace sous-tendra les opérations multidomaines, il sera également un domaine de conflit. Tout comme dans l’air, au sol et en mer, la supériorité spatiale dans les conflits futurs dépendra des contributions de l’ensemble de la Force conjointe et des partenaires et alliés de notre pays. L’espace devient très compétitif, avec des pays déclarant ouvertement qu’ils protégeront leurs systèmes et/ou développeront des capacités offensives.
Quelle est votre analyse du « rapport de force » en orbite ?
Les États-Unis et leurs partenaires sont en tête dans l’espace. Mais nos systèmes ont été conçus et développés pour un domaine bienveillant. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous devons construire pour l’environnement stratégique actuel et émergent… un environnement qui est menacé par des concurrents et des adversaires potentiels. Nous devons étendre notre avantage, conserver une position de force claire pour dissuader les conflits. La parité dans l’espace sape la stabilité dont notre nation et bien d’autres ont bénéficié depuis plus d’un demi-siècle.