Blog de Joseph HENROTIN

Royaume-Uni : faire plus avec moins d’un peu mieux

Les ambitions britanniques se heurtent à des capacités qui ne s’accroissent pas substantiellement. (© Crown Copyright)

C’est finalement le 16 mars que Londres a rendu public Global Britain in a Competitive Age : The Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy, en retard pour cause de pandémie. Il fait suite à la Strategic Defence and Security Review de 2015 et élargit son assiette pour en faire le document est central pour la stratégie intégrale britannique post-Brexit. Sa publication a des conséquences directes sur la posture de défense de Londres – en particulier sa « bascule indo-pacifique » – mais aussi sur les possibles de la coopération avec la France. Sur le fond, le document maintient l’engagement britannique dans l’OTAN, les Nations unies et plus généralement la résolution des questions de sécurité internationale. Si les Etats-Unis restent l’allié numéro un, la France est citée à plusieurs reprises, et notamment par un rappel des déclarations de 1995, lorsque les deux pays indiquaient qu’une menace contre les intérêts vitaux de l’un constitue une menace contre les mêmes intérêts de l’autre. D’une manière générale, la hiérarchie des risques et menaces est classique : terrorisme, montée en puissance et potentiel perturbateur de la Russie (« la menace la plus grave pour notre sécurité ») et de la Chine (un « compétiteur systémique »), changement climatique, crime organisé, pandémies, etc. Le document indique également vouloir renforcer la coopération bilatérale avec, dans cet ordre, Washington, Paris et Berlin.

Avec la France, il s’agit avant tout de contrer le terrorisme et les menaces étatiques, mais aussi, en indiquant, pour ce qui concerne plus particulièrement la défense, que « notre intention est de renforcer ce partenariat et de s’appuyer sur les traités de Lancaster House lors du sommet Royaume-Uni-France en 2021 ». Plus largement, la coopération est aussi mise en avant avec la zone indo-pacifique et en particulier l’Australie, le Japon et l’Inde. Le terme « indo-Pacifique » est cité à 34 reprises dans le document. Les ambitions de Londres y sont considérables : « D’ici 2030, nous serons profondément engagés dans l’Indo-Pacifique en tant que partenaire européen ayant la présence la plus large et la plus intégrée à l’appui d’un commerce mutuellement avantageux, d’une sécurité et de valeurs partagées ». Ce ne signifie pas pour autant un abandon de l’attention portée à l’Europe ou à l’Afrique, mais plutôt le reflet d’une ambition plus large : « façonner l’ordre international du futur : nous passerons de la défense du statu quo au sein du système international de l’après-guerre froide à façonner dynamiquement l’ordre post-COVID, en l’étendant aux futures frontières du cyberespace et de l’espace, et en protégeant les valeurs démocratiques ».

Comment parvenir à atteindre ces objectifs ? La revue offre une répartition des investissements liés à la stratégie intégrale. Concrètement, un investissement supplémentaire de 24 milliards de livres sera réalisé sur quatre ans dans la défense, dont 6,6 milliards sont dévolus à la R&D de défense. D’une manière intéressante, ce dernier est indiqué comme devant permettre la montée en puissance des travaux sur l’intelligence artificielle. Plus largement, si les montants supplémentaires sont significatifs, il faut aussi constater que la « bosse budgétaire » de Londres est historiquement importante et que l’essentiel de l’argent frais sera affecté à sa résorption. Au-delà, le document confirme également des choix déjà rendus public : la mise en place d’un Space Command ; le renouvellement des capacités de dissuasion nucléaire – avec un relèvement du nombre de charges opérationnelles de 195 à 260 – ; le maintien des ambitions navales (voir infra) ; l’accroissement des capacités cyber ; ou encore le « développement du Future combat air system pour la RAF » (on note que le terme « Tempest » n’est pas utilisé).

Defence in a Competitive Age a également été publié le 22 mars : il constitue la déclinaison plus spécifiquement militaire de Global Britain et revient en 76 pages sur l’analyse de l’environnement de sécurité – avec, attaques chimiques russes sur le sol britannique oblige, une attention portée à la décontamination NBCR – ; l’importance du cyber ; ou encore le réseau diplomatique de défense et les relations internationales de défense. On note d’ailleurs un positionnement particulier à l’égard de la Turquie à l’égard de laquelle « nous travaillerons à cimenter une relation de long terme sur les opérations (y compris les mesures de réassurance de l’OTAN), les capacités et la coopération industrielle ». En l’occurrence, cette coopération joue au bénéfice de la Turquie dans le cadre de son programme d’avion de combat national TF-X (voir DSI hors-série n°78). On note par ailleurs que Global Britain faisait référence de manière très indirecte à la question turque en indiquant que des « investissements significatifs » dans les deux bases souveraines de Chypre allaient permettre de contribuer à la sécurité en Méditerranée orientale.

Les débats autour de Global Britain avaient laissé place à une série d’hypothèses pour les structures de forces (voir DSI n°150), opposant les « sunrise » et « sunset technologies », les secondes devant céder la place aux premières. Et de facto, les conséquences de l’exercice britannique pour la structure de forces et les capacités ne sont pas minces. Au futur Space command et la capacité de communication Skynet 6, il faudra ajouter une constellation de satellites de reconnaissance construite au Royaume-Uni, de même qu’un renforcement des capacités de surveillance spatiale. Les forces spéciales pourront quant à elles intervenir en appui de la police sur le sol britannique.

La Royal Navy va voir ses peu armés patrouilleurs être déployés depuis Gibraltar, les Caraïbes et les Malouines. La transformation des Royal Marines en Commando force (voir DSI n°151) va se poursuivre, un LSD de classe Bay devant être transformé pour son appui. Du point de vue la flotte de surface, une capacité Multi-Role Ocean Surveillance sera développée pour la protection des infrastructures sous-marines. En plus des huit frégates Type-26 et des cinq Type-31 et de la capacité de guerre des mines, des frégates de Type-32 en nombre indéterminé dans le document (cinq unités étaient mentionnées en novembre 2020) seront construites. Si l’on s’en tient à ce qui avait été dit avant la publication des documents, elles entreraient en service dans les années 2030. Ces bâtiments seront destinés à « protéger les eaux territoriales, procurer une présence persistante outremer et appuyer les Littoral response group ». On note également qu’il est question de remplacer les missiles antinavires Harpoon, qui ont déjà quitté le service. Reste que le missile antinavire franco-britannique FC/ASW n’est pas cité – ce qui ne manque pas d’alimenter des craintes quant au fait qu’il soit effectivement acheté par Londres, lesquelles avaient émergé par la configuration retenue sur les frégates de Type-26 (voir DSI hors-série n°74). Les premières études pour le destroyer de Type-83, qui remplacera les Type-45 Daring à la fin des années 2030, seront lancées. Les trois ravitailleurs Fleet solid support sont maintenus mais, par contre, deux frégates Type-23 vont quitter le service.

La British Army paie un lourd tribut à la réforme engagée en répétant le mantra d’une force « plus petite, plus agile et plus léthale ». Ses effectifs seront réduits de 76 000 à 72 500 hommes d’ici 2025, avec un plus grand appui sur les réserves. Par contre, des investissements sont annoncés dans l’artillerie de longue portée, la défense antiaérienne et la guerre électronique. Il est également question d’un investissement de 800 millions de livres sur 10 ans au profit d’un système automatisé d’artillerie à courte portée baptisé Mobile fire platform. Un programme d’hélicoptère de manœuvre en remplacement des Puma doit également voir le jour, sans que plus de précisions ne soit données. Si les programmes Ajax et Boxer sont maintenus, seuls 148 des 227chars de bataille Challenger seront modernisés au standard Challenger III – il avait été question de les éliminer complètement. Les Warrior quitteront quant à eux le service sans recevoir la modernisation qui était encore évoquée en 2015, de même que les CH-47 Chinook les plus anciens.

La Royal Air Force va également voir un recadrage de ses capacités. Elle entend commander plus de F-35, au-delà des 48 machines qui le sont déjà, et investir deux milliards de livres en quatre ans dans le Future Combat Air system, tandis que les radars d’une partie des Typhoon seront modernisés. D’autres quitteront le service : les 24 Typhoon Tranche 1 modernisés après 2015 (et qui auraient dû rester en service jusque 2040) , 31 Hawk T1 (ce qui pose la question des appareils utilisés par les Red Arrows), les 4 BAE 146, les derniers C-130J, les Sentinel R1. Les E-3D cèderont quant à eux bien la place aux E-7A Wedgetail mais là aussi, la cible a été réduite : il était initialement question de cinq machines, elles seront finalement trois. La flotte de 16 drones Protector (MQ-9B) n’est par contre pas revue à la baisse – mais la possibilité, encore évoquée en septembre, de nouveaux achats semble écartée. Enfin, la cible de neuf P-8A Poseidon n’est pas revue à la baisse.

À propos de l'auteur

Joseph Henrotin

Rédacteur en chef du magazine DSI (Défense & Sécurité Internationale).
Chargé de recherches au CAPRI et à l'ISC, chercheur associé à l'IESD.

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