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Kazakhstan : quelle transition post-Nazarbaïev ?

La démission surprise de Noursoultan Nazarbaïev, en mars 2019, après 30 années à la tête du Kazakhstan, ouvre certaines perspectives pour cette ex-république soviétique. Entre enjeux nationaux et internationaux, le pays tente à présent de s’unifier en se forgeant une nouvelle identité face aux deux géants qui l’entourent, la Chine et la Russie.

En 2019, la capitale du Kazakhstan, Astana, située dans le quart nord-est du pays, fut renommée Noursoultan, du nom de l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev (1). Or la toponymie changeante de la ville – qui d’Akmolinsk devint Tselinograd en 1961, puis Akmola en 1992, et enfin Astana en 1998 – est le reflet des changements politico-économiques qui ont bouleversé ce pays d’Asie centrale au XXe siècle. D’une superficie de 2 717 000 km2 et comptant désormais 18 millions d’habitants, il a pour voisins la Russie au nord, la Chine à l’est, le Kirghizstan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan au sud, et est bordé par la mer Caspienne à l’ouest. Enclavé entre deux grandes puissances et des voisins ambitieux, il doit relever de nombreux défis.

Pays de steppes et de nomades, la République socialiste soviétique kazakhstanaise est intégrée à l’Union soviétique en 1936. Cette intégration annonce la sédentarisation d’une grande partie de la population : 70 % des habitants pratiquent alors l’élevage pastoral nomade, réparti sur une grande partie du territoire aux milieux arides, semi-arides et steppiques. La collectivisation des campagnes et l’accélération de l’effort industriel engendrent entre 1930 et 1932 une famine et une vague de migration des populations nomades en dehors du pays. À l’issue de cette période, la majorité de la population kazakhe est rapatriée et sédentarisée en raison de la disparition de son cheptel (2). Dans les années 1940, la déportation vers les steppes d’Asie centrale des « peuples punis » (3) de l’Union soviétique : Allemands, Tatars, Coréens, Tchétchènes et d’autres, modifie profondément le tableau ethnique du pays. La campagne de colonisation des terres vierges voulue par le président soviétique Khrouchtchev amène par la suite des populations issues de toutes les autres républiques, en particulier des Russes, des Ukrainiens et des Biélorusses. Ainsi, au moment de l’indépendance, le 16 décembre 1991, les Kazakhs sont en minorité dans leur propre pays (4).

Une transition politique mouvementée

Devenu indépendant de l’URSS en 1991, le Kazakhstan est dirigé d’une main de fer pendant 30 ans par Noursoultan Nazarbaïev. Le régime kazakhstanais devient rapidement autoritaire et le chef de l’État, plus que polyvalent, peut être qualifié d’« omnipotent » (5). Né en 1940 dans un milieu rural de la région d’Almaty, Nazarbaïev se dirige rapidement vers la politique et devient membre du Parti à l’âge de 22 ans. Dans les années 1980, il accède au poste de secrétaire du Comité central du parti communiste avant de diriger le Conseil des ministres de la république soviétique. Sa popularité est grandissante lors de son accession au pouvoir en 1989. Il est confirmé au poste de président de la République le 1er décembre 1991, à la suite de la première élection au suffrage universel au Kazakhstan, et effectue cinq mandats consécutifs.
L’annonce de sa démission, le 19 mars 2019, provoque une onde de choc dans le pays. Catherine Poujol, historienne spécialiste de l’Asie centrale, explique que l’événement est « d’une grande violence symbolique. Annoncer cela, du jour au lendemain, à une population complètement “droguée” à son président, c’est comme arrêter d’un seul coup le “médicament” (6) ». L’ex-président, âgé de 78 ans, demeure toutefois président du parti au pouvoir. Il garde également un poste à vie, grâce à une loi votée en 2018, au Conseil de sécurité, un poste stratégique dans le pays premier fournisseur d’uranium au monde.

Comme le prévoit la loi, c’est le président du Sénat, Kassym-Jomart Tokaïev, qui assure la direction du pays, avant d’être élu, quelques mois plus tard, avec 70,8 % des voix. Formé à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou, cet ancien diplomate kazakh a occupé plusieurs postes à l’étranger, notamment à Pékin comme conseiller à l’ambassade soviétique. Nommé ministre des Affaires étrangères en 1994, il a notamment joué un rôle important, au côté du président, dans la non-prolifération des armes nucléaires. Cette politique a eu pour effet la fermeture en 1991 du site d’essais nucléaires de Semipalatinsk. Premier ministre de 1999 à 2002, à nouveau ministre des Affaires étrangères de 2002 à 2007, Tokaïev est élu président du Sénat, poste qu’il occupera jusqu’à la démission de Nazarbaïev. Ce diplomate polyglotte parle à la fois russe, kazakh, mandarin, anglais et français et sera également nommé secrétaire général adjoint des Nations Unies et directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève par Ban Ki-moon en 2011.

Comment le Kazakhstan peut-il appréhender cette nouvelle ère politique ? Entre tensions socio-économiques et manifestations, le nouveau président doit faire face à des mouvements de protestation dans le pays. Sa légitimité reste contestée, et le rapport final d’observation de l’OSCE apporte les conclusions suivantes sur la journée électorale du 9 juin 2019, qui « constituait un moment important pour des réformes politiques potentielles, mais a été ternie par des violations manifestes des libertés fondamentales ainsi que par les pressions exercées sur les voix critiques. Alors qu’il y avait sept candidats, y compris pour la première fois une femme, des restrictions considérables au droit de se porter candidat, ainsi que de se réunir pacifiquement et à la liberté d’expression ont empêché un véritable pluralisme politique. […] Le jour du scrutin, des irrégularités importantes ont été constatées, notamment des bourrages d’urnes. En outre, le non-respect des procédures de dépouillement a empêché de garantir un décompte honnête, comme l’exigent les engagements de l’OSCE. De nombreuses arrestations de manifestants pacifiques ont eu lieu le jour des élections dans les grandes villes (7) ».

L’action menée lors du marathon d’Almaty, le 21 avril 2019, est emblématique de ces protestations, déjà notables bien avant la démission de Nazarbaïev : une banderole où était écrit : « Vous ne pouvez pas fuir la vérité », « #AdilSailayUshin » (Pour des élections libres) et « #J’ai le choix » avait notamment été brandie. Les deux activistes porteurs de la banderole ont été arrêtés. La création de l’organisation pour les droits civiques Oyan Qazaqstan (dont le nom signifie, « Réveille-toi Kazakhstan »), en réaction à ces arrestations, le 5 juin 2019, n’est qu’un exemple des changements politiques attendus.

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