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Burundi : enfin la sortie de la violence ?

Le décès du président du Burundi, Pierre Nkurunziza, le 8 juin 2020, après quinze années à la tête de l’État, a accéléré le processus d’investiture du vainqueur de l’élection du 20 mai, Évariste Ndayishimiye. Le 18 juin, il prend les rênes du pouvoir. Voisin du Rwanda marqué par un génocide similaire en 1993, le Burundi reste l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, meurtri par des années de violence et de tensions ethniques.

i le scrutin s’est tenu sans observateurs internationaux et avec les frontières fermées, il pourrait être un tournant majeur dans un pays économiquement au bord du gouffre et politiquement marqué par la répression. Le président élu porte l’espoir d’un renouveau. En effet, l’élection d’Évariste Ndayishimiye, général, représente une chance de changement, ayant su toucher un élément essentiel en axant sa campagne sur le développement.

Une élection, une opportunité économique ?

En 2019, la croissance s’établit à 1,8 %, selon la Banque mondiale et le taux de pauvreté à 74 %. Seulement un Burundais sur dix a de l’électricité, tandis que l’accès à l’eau et l’assainissement sont problématiques. Deux fois plus élevée que la moyenne des autres pays africains, l’insécurité alimentaire est préoccupante. Enfin, le chômage touche surtout les jeunes (67 % en 2017, d’après la Banque africaine du développement). La situation s’explique en partie par les deux années de récession qu’a subies le pays en 2015 et en 2016. Par ailleurs, l’économie burundaise s’appuie en majorité sur le secteur agricole (40 % du PIB). Or ce dernier ne produit pas suffisamment de revenus pour permettre à l’État d’investir dans le développement. Enfin, la densité démographique (414 habitants au kilomètre carré, soit l’une des plus élevées du continent) et l’importante croissance de la population (le taux de fécondité par femme étant en moyenne de 5,5 enfants entre 2010 et 2017) exercent une forte pression sur les terres arables et le système agricole. À cette situation générale s’ajoute la fermeture des frontières en raison de l’épidémie de ­Covid-19 qui a fragilisé encore plus l’économie.

De plus, l’élection du 20 mai 2020 soulève la question de la reprise des soutiens financiers étrangers. En mai 2015, l’Union européenne (UE) a suspendu son aide (environ 20 % du budget gouvernemental) à la suite d’une tentative de coup d’État contre Pierre Nkurunziza fin avril. Au pouvoir depuis 2005, il briguait alors un troisième mandat malgré l’interdiction faite par la Constitution. Des hauts gradés de l’armée ont même formé des forces dites républicaines pour « restaurer la démocratie ». Mais meurtres, attentats et répressions ont suivi.

L’élection d’Évariste Ndayishimiye pourrait dès lors conduire à une renormalisation des relations avec l’UE. Afin d’assurer l’efficacité des subventions et d’éviter les détournements ou les pressions, elles pourraient être tournées vers la population et les ONG et non distribuées directement aux instances gouvernementales. Mais, si l’arrivée du nouveau président a remis en avant la situation économique, cette dernière ne saurait s’améliorer sans un virage politique.

La promesse d’une réconciliation nationale

Le scrutin de mai 2020 et le choix d’Évariste Ndayishimiye laissent espérer la fin de l’ère Nkurunziza à une condition : faire usage de son héritage tout en prenant ses distances par rapport à la gouvernance brutale et violente de son prédécesseur. Ancien ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique (2006-2007), secrétaire général du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), il peut maintenir l’unité et éviter les luttes internes. Mais, il devra sans doute s’émanciper du groupe dit « des généraux ». Proches du président défunt Nkurunziza, ils forment le cœur du parti. Sans indépendance par rapport à ces derniers, il risque d’être contraint de reformater les politiques de l’ancien régime.

Cette élection pose enfin la question de la réconciliation entre les communautés hutue (85 % des 11,53 millions d’habitants en 2019), regroupant principalement des fermiers, et tutsie (14 %), des éleveurs bovins. En octobre 1993, à la suite de l’assassinat du président Melchior Ndiaye, en fonction seulement trois mois, par des officiers ­tutsis, le pays a plongé dans les violences interethniques qui ont duré plus d’une décennie et causé quelque 300 000 morts. Depuis les accords d’Arusha en août 2000, des avancées ont été réalisées (la Constitution de 2005 impose 60 % de Hutus et 40 % de Tutsis au sein du gouvernement et de l’Assemblée nationale) sans que le bruit des armes cesse. En septembre 2020, le pays vivait au rythme d’attaques rebelles à Bujumbura, la capitale.

Évariste Ndayishimiye hérite d’une réconciliation à achever. Selon un accord conclu en 2019, près de 163 000 réfugiés en Tanzanie doivent être rapatriés et réintégrés au tissu social. De plus, les milices utilisées par l’ancien régime comme outils de répression, notamment la Ligue des jeunes du CNDD-FDD, doivent être contrôlées. Mais la tâche qui lui incombe ne pourra se faire qu’à long terme et au prix d’un travail profond de mémoire nationale.

<strong>Le Burundi, ce petit pays au cœur de l’Afrique</strong>
Article paru dans la revue Carto n°62, « « Bilan Trump » : La fin du rêve américain ?  », novembre-décembre 2020.
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