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L’armée russe au cinéma

L’autre fait intéressant réside dans la réaction des politiciens russes actuels : certains ont demandé et obtenu que Sergueï Mironenko soit démis de ses fonctions, tandis que le ministre de la Culture s’insurgeait quant à l’intérêt porté à la véracité historique, arguant que, avérée ou non, l’histoire des 28 hommes de Panfilov était devenue une légende sacrée, intouchable, dont la critique ou la remise en question relèvent de l’outrage. Ces réactions sont symptomatiques de la place occupée par les victoires soviétiques de la Deuxième Guerre mondiale dans l’identité collective de la Russie d’aujourd’hui, et de la tentative de l’administration Poutine d’en faire un pilier du nouvel esprit national russe qu’elle cherche à créer. On sent à travers cette polémique un changement dans la manière de dialoguer avec la nation : peu importent les faits, c’est l’intention qui compte, et avec elle, le sentiment autour duquel on souhaite se retrouver.

Plus récemment encore, le blockbuster T‑34 (Aleksey Sidorov, 2019), dont le titre fait directement référence au char du même nom, est un film de divertissement cumulant tous les clichés du film de propagande moderne. Bourré d’effets spéciaux, à la réalisation grandiloquente et presque naïve, soutenu par le gouvernement avec un budget important, son scénario donne la part belle au combat des blindés à travers une série de duels entre les deux principales figures du film : un jeune tankiste russe talentueux contre un officier des Panzers trop sérieux et trop confiant, s’affrontant dans un combat de David contre Goliath qui s’achève par la victoire sirupeuse de la fraternité et de l’amour. Capturé après avoir repoussé à lui seul une compagnie de Panzers pour défendre un village et un hôpital, l’équipage du T‑34 se retrouve dans un camp de concentration, symbole de l’oppression nazie, et organise son évasion à bord d’un T‑34/85, jusqu’à l’affrontement final dans un village allemand, dans un ultime accès de dévotion à la mère patrie. Rapidement devenu le second plus gros succès du cinéma russe depuis la chute de l’URSS, ce déploiement de force visuelle a su attirer un jeune public féru d’action et d’aventure, sans pour autant repousser les patriotes sourcilleux quant à la mémoire de leur combat ou celui de leurs ancêtres.

Une place particulière pour les femmes

Figure soviétique de la Deuxième Guerre mondiale et en particulier des femmes snipers de l’Armée rouge, Lyudmila Pavlichenko est le personnage central de Battle for Sevastopol (en français : Résistance, de Sergueï Mokristkiy, 2015). Ce biopic s’articule autour de la rencontre entre Lyudmila Pavlichenko et Eleonor Roosevelt à l’occasion de la visite diplomatique d’une délégation soviétique aux États-Unis. Ces quelques jours sont émaillés de flash-back abordant différents épisodes de la vie de la Russe, de sa jeunesse sur les bancs de l’école où elle est repérée pour son talent au tir, puis intégrée dans les rangs juste avant l’entrée en guerre contre l’Allemagne. Contrairement à de nombreux films sur les snipers, dans lesquels le tir à longue distance, porté au rang de super pouvoir, constitue le véritable sujet du film plus encore que le sniper lui-même, Battle for Sevastopol ne s’attarde guère sur les tenants et aboutissants du sniping, survolés en accéléré pour laisser plus de place à l’histoire d’une femme faisant face aux rigueurs du combat, au syndrome de stress post-traumatique et à la perte de ses camarades. L’ensemble est filmé comme un blockbuster, avec une mise en scène dynamique faisant largement appel aux effets spéciaux. Tout le film érige Pavlichenko en héroïne de la nation, portant toutes les valeurs antifascistes dont le Parti communiste se réclamait. À travers son personnage, c’est la nation qui est identifiée et avec elle, ses sacrifices, son désir de revanche, ses blessures et son traumatisme.

Autre média où la Deuxième Guerre mondiale est présente : la télévision, avec une minisérie de quatre épisodes intitulée The Dawns Here Are Quiet (en français : Ici les aubes sont calmes, par Renat Davletyarov, 2015), remake du film éponyme réalisé par Stanislas Rostotski en 1972. Le personnage principal de la série est un officier commandant deux batteries antiaériennes placées en protection d’un relais logistique stratégiquement situé entre Leningrad et Kirov, durant l’été 1942. La particularité du scénario repose sur le fait que ses pièces de DCA sont servies par des femmes, dont la plupart n’ont pas d’expérience du combat à pied, au moment où une section de parachutistes SS en infiltration est repérée dans la zone. Le chef décide de leur barrer la route avec un groupe de cinq artilleuses, qui vont se sacrifier jusqu’à la dernière dans la plus pure tradition de l’héroïsme patriotique qu’affectionnent les réalisateurs russes.

Cet héroïsme est mis en exergue par l’infériorité des Soviétiques face aux Allemands, à laquelle s’ajoute le décalage posé entre le héros, blessé de guerre frustré par son affectation sur les arrières d’un front de l’Est dont il a déjà connu les rigueurs, et un parterre de jeunes femmes plutôt séduisantes dont l’efficacité en défense aérienne n’a d’égale que leur méconnaissance des bases du combat d’infanterie. En découle un déploiement d’ingéniosité et de débrouille, notamment lorsque le groupe de Russes se fait passer pour des bûcherons en plein travail d’abattage pour faire dévier les Allemands de leur trajectoire et les retarder. L’intrigue fait ressortir des valeurs de droiture morale et disciplinaire, le chef de section s’interdisant tout écart avec ses subordonnées, la guerre et la protection de Moscou étant une priorité absolue.

L’Afghanistan sur grand écran

Déjà traité dans Afghan Breakdown (Vladimir Bortko, 1991), qui reste encore à ce jour considéré par le public russe comme la meilleure représentation du conflit afghano-­soviétique, l’Afghanistan est aussi la toile de fond de 9e Escadron (Fiodor Bondartchouk, 2005). Construit comme une sorte de Full Metal Jacket russe, le scénario est découpé en deux grandes parties : la première dépeint l’arrivée d’un groupe de jeunes paras dans l’Armée rouge, depuis leur départ de Sibérie jusqu’à la fin de leur instruction sur une base en Ouzbékistan. À la moitié du film, ils sont alors déployés en Afghanistan et ne vont pas tarder à être engagés dans un combat sanglant contre des moudjahidines, au cours duquel ils seront presque tous tués.

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