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Les enjeux de l’autonomie pour les systèmes d’armes létaux

L’intérêt pour les robots militaires n’est plus à démontrer. Les avantages de leur utilisation sont multiples et offrent un champ d’investigation qui reste encore largement à explorer tant les nouvelles formes de combat du futur seront impactées, voire bouleversées, par ces nouveaux outils mis à la disposition des armées.

Sur le plan international, les armées s’emparent du sujet et tentent de décliner l’intégration progressive de ces nouveaux outils mis à leur disposition, avec une approche multimilieux. Citons pour l’armée de Terre française le lancement en juin 2021, par le chef d’état-­major des armées, le général Thierry Burkhard, du programme Vulcain, avec pour objectif d’explorer la plus-­value que peuvent apporter les systèmes robotiques dans le combat aéroterrestre futur. Bien entendu, ces nouveaux usages possibles qu’offrent les robots militaires dans tous les milieux ne seront pas l’apanage des nations amies. Une nouvelle menace se précise qui nivellera la dissymétrie existante entre les belligérants dans les guerres qualifiées d’hybrides, et consolidera une course à l’armement robotique dont certains États se sont déjà emparés.

Les avantages de la robotique militaire

De fait, les avantages qu’apportent les robots sont nombreux, impliquant inéluctablement une composante non habitée (unmanned) au sein des forces futures déployées sur le terrain. Parmi ces avantages, nous avons bien entendu le déport du combattant de la zone de danger, zone à risque où l’on va préférer risquer un robot plutôt qu’une vie humaine (reconnaissance de grottes, déminage). Il y a aussi, sous réserve d’autonomie énergétique, la possibilité pour ces machines de rester omniprésentes sur le terrain, là où l’homme est sujet à la fatigue et aux contraintes climatiques (surveillance), ou tout particulièrement dans la troisième dimension (survol de zones). Les technologies numériques leur permettent également d’être plus réactives et plus précises que l’être humain dans l’exécution d’une tâche. On voit ici tout de suite l’énorme avantage que procurent ces deux dernières qualités s’il faut déclencher des contre-­mesures face à une menace soudaine, comme dans le cas d’un combat entre deux adversaires, ou si une occasion favorable se présente pour une réaction d’opportunité.

Sur le plan tactique, l’usage de moyens robotisés permet l’extension de la zone d’action d’une unité militaire. En effet, l’emport de modules fonctionnels par des plates-­formes robotiques va porter plus loin ses capacités de captation de l’information (déport de caméras, de capteurs de détection de menaces NRBC) ou d’identification (traitement algorithmique des images assisté d’une intelligence artificielle), et donc étendre les limites de sa zone de recueil d’information. Cet emport permet aussi de repousser les limites d’action de cette même unité par le déport d’effecteurs au-­delà de sa zone d’action classique, traditionnellement établie par la portée de ses feux. On peut ainsi imaginer un déport au plus loin des fonctions de neutralisation (arme embarquée létale ou non létale, transport d’une charge explosive), de leurre (infrarouges, charges pyrotechniques éjectées) ou de guerre électronique.

On le voit, le robot constitue un outil indispensable au chef militaire. Néanmoins, la complexité de ces systèmes ira croissant, notamment par l’intégration de multiples modules fonctionnels sur une même plate­forme, par les interactions que ces systèmes robotiques devront assurer entre eux, ainsi que par l’intelligence collective qu’il faudra développer pour assurer une cohérence d’ensemble de la flotte de ces plates-­formes, lesquelles opéreront de concert tout en assurant leurs propres missions.

L’autonomie des systèmes robotiques

L’autonomie est une réponse à la maîtrise de cette complexité. Nous la considérerons ici comme un ensemble de fonctions ayant une certaine forme d’autonomie, activables ou non, et embarquées dans les plates-­formes robotiques militaires. Le comité d’éthique de la Défense (1) a proposé la notion de SALIA (Systèmes d’armes létaux intégrant de l’autonomie) pour les caractériser. Elle va tout d’abord permettre à l’opérateur de déléguer à la machine une certaine forme d’autonomie, notamment dans l’exécution de ses fonctions comportementales (le déplacement, la recharge en énergie, l’orientation de ses capteurs, etc.). Cela va considérablement réduire le temps que l’opérateur doit accorder à leur pilotage, tâche cognitive chronophage et qui focalise son attention, donc en inadéquation avec l’insécurité latente du monde militaire : le soldat doit en effet assurer sa propre protection, avec son arme, et doit pouvoir assurer plusieurs autres missions en même temps.

Elle permet aussi le pilotage de plusieurs systèmes par un seul opérateur. Ce dernier peut par exemple s’adresser à une intelligence collective comme un essaim et la piloter comme si elle était une seule entité. L’autonomie permet aussi à une machine de poursuivre une action même lorsqu’elle entre dans un mode « sans contact » avec son opérateur. On pense ici bien sûr aux pertes de communication et à la frustration de ne pouvoir compter sur un robot pour effectuer une tâche si une rupture de communication survient inopinément (masques ou brouillage). L’exemple du robot qui va reconnaître une grotte est tout à fait significatif : seule une autonomie de déplacement et de reconnaissance automatique des menaces potentielles lui permettra de s’adapter à l’environnement inconnu et de ramener l’information attendue à l’unité qui l’a mis en œuvre.

Ces généralités sont des sujets qui animent tous les ingénieurs roboticiens du monde entier, dans le monde civil ou militaire. Mais la spécificité du monde militaire nous fait pointer vers une question fondamentale : une machine peut-elle être autonome dans l’activation de la fonction létale ?
Cette question fait l’objet de débats animés dans la société civile et a poussé le CREC Saint-Cyr à organiser avec la Croix-Rouge française, le 9 novembre 2021 à Balard, un colloque qui a rassemblé les experts nationaux sur ce sujet (2). Plusieurs points y ont été abordés, mais nous en rappellerons ici quelques-­uns qui nous apparaissent d’importance.

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