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Au secours du fleuve Litani : quel rôle pour le droit dans la protection de l’environnement au Liban ?

Les forêts et l’eau revêtent une dimension identitaire et culturelle forte au Liban. Le nom du pays se veut lui-même le reflet de sa richesse naturelle : pour certain, il vient de lbn, qui signifie « lait » ou « blanc », en référence à la neige ; pour d’autres, il s’agit de l’encens provenant d’un arbre dénommé « louban ». La fertilité de la nature apparaît dans la cuisine, la poésie, la chanson, célébrant les paysages. La réalité est tout autre, comme sur les rives du fleuve Litani, victime de pollution. Alors que le pays est en proie à une catastrophe économique et qu’une explosion a détruit une partie de Beyrouth en août 2020, c’est aussi une crise sanitaire et environnementale qui se joue.

Évoquer la question de l’eau au Liban, c’est se confronter à des problématiques contradictoires et complexes liées d’une part à la richesse de ce pays, considéré comme le « château d’eau » du Moyen-Orient (1), et d’autre part aux politiques publiques qui privilégient la préservation des intérêts de la seule classe politique, oubliant de prendre les mesures nécessaires à la protection des citoyens et des ressources naturelles du territoire national. Contrairement aux autres pays de la région, le Liban compte quelque 2 000 sources et 40 cours d’eau qui représentent environ 44 % de la superficie du Pays des Cèdres. Dans ce paysage, le fleuve Litani s’étend sur 2 175 kilomètres carrés et parcourt d’est en ouest près de 180 kilomètres. Ce fleuve, le plus grand du pays, s’étire de Baalbek jusqu’à Qasmieh, pont d’union entre les montagnes libanaises, la plaine de la Bekaa et la Méditerranée. Avec un débit de 750 millions de mètres cubes par an, cette ressource naturelle a été le terrain de nombreux projets mis en œuvre pour l’exploitation de ses eaux à des fins de production d’énergie, d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation.

L’assassinat du fleuve du Litani et de ses riverains

Si durant des générations le fleuve s’est intégré harmonieusement dans le paysage rural et agricole libanais, la population assiste aujourd’hui à sa destruction progressive. Le Litani pourrait alors servir à filer la métaphore avec l’histoire moderne du Liban. En effet, durant la période de la construction nationale qui a suivi l’indépendance (1943), on a eu coutume d’envisager le fleuve comme « un don » pour l’État du Grand Liban. Le Litani était alors synonyme de richesse naturelle, pour les secteurs agricole, touristique ainsi que de l’énergie. Malheureusement, cet âge d’or du fleuve est révolu. L’eau est devenue au Liban une ressource rare et un facteur limitant les moyens du développement. Le Litani représente une réelle menace tant sanitaire qu’environnementale pour le pays.

L’industrialisation grandissante couplée à l’inertie des politiques publiques et l’irresponsabilité du secteur privé ont fait de la principale artère fluviale du Liban un endroit extrêmement pollué. Les raisons de cette dégradation sont nombreuses. Il s’agit principalement de déchets rejetés par les industries, par certains agriculteurs utilisant des produits insecticides, fongicides et herbicides ainsi que des égouts et des déchets domestiques déversés dans le fleuve par les riverains. La pollution constitue une menace grave pour la santé publique et l’écosystème : les cancers chez les riverains du Litani et la perte de biodiversité végétale et animale ont été soulignés dans diverses études et relayés dans les médias. Selon l’Office national du Litani (ONL), administration publique créée en 1955 et chargée de la protection du Litani, les cas de cancers dans plusieurs villages situés sur les bords du fleuve dépassent la moyenne nationale (2). En plus d’une problématique de santé publique, la pollution engendre également d’importantes pertes économiques. Tout d’abord, les agriculteurs ne peuvent plus utiliser l’eau pour irriguer leurs terres et les consommateurs redoutent d’acheter les fruits et les légumes en provenance du bassin du Litani. Ensuite, le secteur touristique a été grandement touché par la pollution, entraînant la fermeture de nombreux restaurants et centres de loisirs. Enfin, on assiste à une perte importante de la biodiversité de l’écosystème fluvial, qu’il s’agisse de la faune ou de la flore.

L’ONL, à l’instar d’autres institutions administratives libanaises, n’a que trop peu agi afin de protéger le fleuve de la pollution et n’a pas mis en place les actions préventives pourtant nécessaires. Face à l’inertie de la classe politique et aux recours judiciaires retardés, la presse libanaise s’est saisie de cette problématique d’envergure nationale. Plusieurs reportages ont mis en lumière l’état catastrophique du fleuve et la détérioration de l’état de santé de ses riverains. Ces multiples cris d’alerte ont été accompagnés par des mobilisations citoyennes visant à lutter contre l’inertie des responsables. L’absence d’une politique publique effective et efficace qui tendrait à protéger les ressources en eau dans le pays a été dénoncée par la population. Cette défaillance du pouvoir politique dans la prise en charge des questions environnementales a favorisé l’émergence de comportements, tant publics que privés, nuisibles à la santé du fleuve et de ses riverains. Avant les industriels et les habitants, l’État libanais apparaît comme le premier pollueur, lui qui depuis trop longtemps privilégie les intérêts politiques individuels et confessionnels au détriment de l’intérêt général. Ainsi, force est d’admettre que les politiques publiques ont largement contribué à la pollution massive de la première ressource en eau douce du Liban. La défiance et la désillusion de la société civile envers la classe dirigeante conduisent de plus en plus à envisager l’autorité judiciaire comme unique rempart à la destruction du fleuve. Bien que les juges soient parfois pris en étau par la classe politique, ils peuvent, en puisant dans le corpus juridique libanais existant, trouver des leviers pour contraindre les pollueurs à réparer les dommages qu’ils causent à la population et à l’environnement.

Pollution environnementale, un corpus juridique pourtant existant

Les ressources disponibles sur le site du ministère de l’Environnement dénombrent l’existence de 730 textes juridiques relatifs à la protection de l’environnement. L’un des temps forts dans cette construction d’un droit environnemental a été l’adoption de la loi no 444/2002. Elle vise à instaurer un cadre juridique général et consacre quatre grands principes : prévention, participation, précaution et pollueur-payeur. En outre, elle permet au pays, une première au Moyen-Orient, de se doter d’une procédure d’évaluation environnementale pour les projets ayant une incidence sur l’environnement. En ce sens, l’article 21 impose au pétitionnaire d’un projet industriel d’élaborer une étude qui prenne dûment en compte les effets négatifs sur l’environnement de son activité ainsi que les mesures permettant d’éviter, de réduire ou de compenser les impacts potentiels. Cette procédure d’autorisation administrative permet de placer la prévention au centre des conditions d’autorisation de l’activité. Ainsi, en théorie, un industriel ne peut plus commencer une activité sans avoir obtenu une autorisation de l’administration, qui aura préalablement estimé que les procédures mises en place par l’exploitant sont de nature à éviter de futurs dommages environnementaux.

Si l’adoption d’une telle mesure a représenté une avancée pour le Liban, il faut souligner que les études n’ont effectivement été réalisées qu’à partir de 2012. Il aura fallu attendre dix ans pour que soit promulgué le décret d’application de la loi et donc que ce mécanisme soit mis en œuvre dans ses modalités pratiques par le pouvoir exécutif.

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