Le nouveau souffle français sur le domaine spatial, préconisé par de multiples rapports parlementaires, dont le dernier déposé le 3 février dernier, tarde à venir. Il semble en effet difficile de trouver sa place dans un marché certes en pleine expansion, mais également saturé par ses propres changements structurels. Si les États-Unis ont fait le choix dès les dernières heures du contexte de bipolarité d’aller vers un modèle de soutien économique et normatif favorisant l’émergence d’entreprises destinées à assurer la souveraineté nationale dans certains domaines stratégiques clés, les États européens ne parviennent que difficilement à garantir une autonomie qu’ils appellent de leurs vœux.
« On ne joue pas dans la cour des grands en se comportant petitement », indiquait le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, lors de son grand discours consacré aux ambitions spatiales françaises, le 6 décembre dernier. Et pour cause, alors que le CNES fêtait en 2021 ses soixante ans d’existence, subsiste toujours, et aujourd’hui plus que jamais, la question de la place de la France dans l’écosystème spatial. Une chose est sûre : ces prochaines années seront décisives pour la crédibilité des programmes spatiaux français.
Autonomie stratégique et coopération internationale
À défaut d’être nationale, l’autonomie stratégique de la France sera avant tout régionale, entre autres portée par l’Agence spatiale européenne (ESA) pour sa partie scientifique ainsi que par l’Agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA, ex-GSA) sur le volet du positionnement par satellite et du soutien aux industries. Sur cette compétence, justement, l’ambition est claire : permettre au programme Galileo de devenir une alternative fiable et précise aux programmes de positionnement par satellite concurrents (GPS, GLONASS, Beidou), notamment afin d’attirer les investissements liés aux véhicules autonomes.
Cependant, ces agences devront s’assurer de répondre à deux problématiques fondatrices : favoriser la normalisation d’un Buy European Act, un mécanisme de préférence industrielle européenne effectif aux États-Unis, ainsi que, dans un second temps, participer à une véritable compréhension des enjeux européens afin d’éviter un chevauchement contre-productif, voire délétère, des compétences existant toujours malgré les conventions de cadrage adoptées par les agences.
Du point de vue international, la France peut se targuer de participer à des programmes scientifiques majeurs récents auprès d’autres agences spatiales, comme la NASA avec la conception de la SuperCam et du sismomètre SEIS, ou encore de l’agence spatiale allemande DLR dans le cadre du satellite MERLIN (Methane remote sensing lidar mission) ou de l’atterrisseur MASCOT (Mobile asteroid surface scout) intégré à Hayabusa 2. Une dynamique qui n’est pas près de s’inverser, faisant de la France un interlocuteur privilégié en matière d’expertise scientifique – un succès notamment dû à sa forte participation économique aux missions internationales, ainsi qu’à la reconnaissance des formations d’ingénierie et de droit dispensées sur le territoire, qui souffrent malgré tout du manque de moyens et de reconnaissance des projets étudiants (nanosatellites, simulation d’exploration…).
Véritable enjeu de souveraineté nationale, l’approche française des activités de défense dans le domaine spatial a mué au cours du dernier quinquennat pour permettre l’adoption d’une réelle posture souhaitant tenir compte du passage d’une conception de l’espace comme vecteur à celle d’un potentiel domaine de confrontation.
Cette volonté passe notamment par deux points : le renforcement des capacités spatiales, en particulier par la surveillance et la poursuite spatiale avec le système GRAVES (Grand réseau adapté à la veille spatiale), le réseau SATAM (Système d’acquisition et de trajectographie des avions et des munitions) ou les télescopes TAROT (Télescope à action rapide pour les objets transitoires), ainsi que l’ajout de moyens de défense à ces capacités spatiales, dont le démonstrateur agile Yoda devrait être l’un des premiers objets opérés directement par les forces armées et non par délégation auprès du CNES. Toujours est-il que la résilience est devenue l’un des maîtres-mots des programmes spatiaux, mettant en avant la nécessité pour les objets spatiaux de percevoir leur environnement et de se défendre, tout en permettant au système de se reconstituer en recourant, notamment, aux industries.
Nicolas Dupont-Aignan (DLF) s’inscrit dans ce constat en préconisant dans son programme politique une « augmentation du nombre de satellites de renseignement et le développement de moyens de défense et de riposte ». De son côté, Fabien Roussel (PCF) souhaite voir la France « travailler à la démilitarisation de l’espace », une initiative de « désarmement » que défend également Jean-Luc Mélenchon (LFI).
Souplesse et réactivité
Comme le démontrent les positions de l’exécutif français, la question des lanceurs est centrale et s’inscrit dans le cadre plus général d’une compétition dans laquelle peinent à s’inscrire les États européens, dont la France. Le programme Ariane, dont le calendrier le plus ambitieux prévoit un premier tir de la sixième version du lanceur au cours du second semestre 2022, accuse en effet un important retard de vision. La fiabilité, argument central de l’entreprise Arianespace qui annonce tout de même avoir diminué ses coûts de production de 40 %, n’est plus un enjeu essentiel à l’heure de la massification des opérations spatiales et de la mise en service de constellations.
Afin de convaincre les investisseurs privés, et ainsi provoquer une diversification allant au-delà de l’envoi de lanceurs moyens ou lourds, l’État devra forcément appuyer par le biais de contrats publics l’émergence de nouvelles technologies de lancement.
Souplesse et réactivité devront ainsi être les points cardinaux d’une nouvelle conception des lancements, prônant davantage la « culture du risque » afin de favoriser l’innovation industrielle. Le développement du microlanceur Maïa et du lanceur réutilisable Themis pourrait notamment combler le vide capacitaire provoqué par le retard industriel, et devra être assorti d’une réévaluation des instruments légaux ainsi que d’une facilitation des partenariats entre public et privé.
Il faudra cependant veiller à ne pas dénaturer pour autant la vision de la France en matière spatiale. Favoriser l’émergence de nouvelles technologies par le biais du secteur privé ne veut pas dire permettre la privatisation des activités spatiales. La nuance entre scientifique, militaire et commercial est donc nécessaire. Une question que Jean-Luc Mélenchon traite notamment par un programme plus volontariste que ceux de ses adversaires politiques, souhaitant notamment interdire le tourisme spatial et revenir sur la privatisation d’Arianespace.
Légende de la photo ci-dessus : Ariane 6 doit effectuer son premier vol au deuxième semestre 2022. (© ESA)Ariane 6 doit effectuer son premier vol au deuxième semestre 2022. (© ESA)