La Moldavie est constituée d’une mosaïque ethnolinguistique à l’image d’une histoire marquée du sceau des influences étrangères qui se sont succédé : roumaine, turque et russe. Bien qu’il n’existe pas de recensement récent, cela explique la présence d’une population roumanophone et russophone importante et d’une minorité turcophone (gagaouze orthodoxe) (1).
Alors que la Moldavie s’était constitué une identité propre à l’époque soviétique, les identités nationales se sont réveillées à la chute de l’URSS. La guerre civile éclate en 1992, un an après l’indépendance de la Moldavie, opposant gouvernement moldave et séparatistes russophones de Transnistrie (appuyés militairement par les Russes) sur les berges du Dniestr, dans l’Est du pays. Ce conflit toujours latent est depuis lors gelé, laissant une Moldavie désormais enclavée dans un « entre-deux » entre le glacis géostratégique russe à l’est et le cercle d’influence européen à l’ouest.
Cette situation délicate nous interroge quant à la position de la Moldavie dans un contexte de recrudescence des tensions entre Russie et Occident. Reprenant la logique des rapports de forces internes constitutive de la Moldavie contemporaine, il s’agit de comprendre : la polarisation de la vie politique moldave autour des questions identitaires, délaissant le redressement urgent de l’État dont la stabilité est particulièrement sensible à la conjoncture internationale ; mais aussi sa situation face au conflit russo-ukrainien, pouvant ranimer le conflit non réglé de la Transnistrie pour faire suite au projet irrédentiste russe.
Un État fracturé sur fond de clivage identitaire
La Moldavie vit les alternances gouvernementales au rythme d’une division identitaire entre roumanophones, libéraux et désireux de se rapprocher de Bruxelles et de Bucarest, et russophones, se reconnaissant davantage dans une identité soviétique moldave mêlant socialisme et attachement à un monde russe avec lequel elle maintient des liens forts (2).
Les campagnes électorales de 2009 et de 2016 portant principalement sur des enjeux d’identité ont été des points de bascule historiques, marqués par des accusations de trahison et de liquidation du pays au profit de puissances étrangères d’un bord à l’autre du spectre politique. Les manifestations à la suite des résultats de ces élections sont une illustration de la défiance entre communautés, et entre le peuple et ses élites (3). Enfin, l’utilisation d’une rhétorique identitaire : « Nous » contre « les Autres », a achevé la fabrication d’un manichéisme politico-identitaire (4).
Cette fracture a déplacé la ligne de clivage sur la scène internationale entre pro-Russes d’un côté et pro-Européens de l’autre, affaiblissant davantage l’autorité de l’État en intégrant des puissances étrangères dans le jeu politique moldave (5).
Selon les alliances parvenant au pouvoir, cela se manifeste par des aides au développement européennes conditionnées par la mise en œuvre de réformes visant le cadre démocratique, la transparence dans le milieu politique et des affaires, et le rapprochement avec l’Union européenne (6). Ces subsides sont souvent coupés dès que le gouvernement se rapproche de Moscou.
À l’inverse, les pro-Russes ont un soutien passant par la livraison privilégiée en matières premières (gaz et pétrole notamment), en produits manufacturés et en équipement militaire. Les pro-Russes bénéficient aussi des sanctions que peut infliger la Russie à chaque alternance pro-européenne à Chișinău, démontrant la dépendance de la Moldavie vis-à-vis de la Russie (7).