À entendre les dirigeants des deux pays, une guerre de grande ampleur serait inéluctable. Pourtant, les années passent sans que n’éclate de guerre ouverte entre ces deux puissances majeures du Moyen-Orient — une guerre qui ne serait d’ailleurs bénéfique à aucun des deux camps.
Au gré des relances diplomatiques des négociations sur le nucléaire iranien, la possibilité d’un conflit entre Israël et la République islamique d’Iran revient fréquemment comme un sujet de préoccupation. Depuis 2006, le conflit larvé entre les deux puissances se poursuit inlassablement par des actions clandestines non revendiquées et par l’utilisation de tiers afin de déstabiliser l’autre sans provoquer le déclic fatal. Accords sur le nucléaire iranien, isolement diplomatique, rapprochement israélo-arabe… Tout laisse pourtant penser que la menace d’un conflit entre Israël et l’Iran reste possible.
L’Ukraine et le nucléaire iranien : deux enjeux majeurs
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a rappelé aux Israéliens leur situation inconfortable sur la scène internationale. Israël ne peut se positionner dans ce conflit sans entraîner de conséquences sur son influence et sa défense au Moyen-Orient. En effet, prendre le parti de l’Ukraine soutenue par l’OTAN viendrait remettre en cause les accords tacites passés avec la Russie au sujet des frappes israéliennes en Syrie. Depuis 2013, l’armée de l’air israélienne s’emploie en effet à endiguer l’avancée iranienne et ses affidés sur le sol syrien, par lequel transitent les armements destinés au Hezbollah libanais, grâce au consentement de l’armée russe dont les systèmes de déni d’accès quadrillent le ciel syrien. S’aliéner la Russie reviendrait à pousser Moscou à fermer les yeux sur les activités iraniennes en Syrie, tout en empêchant l’armée israélienne de frapper les convois iraniens du fait de l’activation des systèmes anti-aériens et anti-missiles russes. Les divergences de positions quant au conflit russo-ukrainien ne sont d’ailleurs pas étrangères à l’explosion de la coalition gouvernementale israélienne, fin juin. En effet, tandis que l’ancien Premier ministre Bennett s’affairait à s’imposer comme médiateur dans ce conflit, son vice-Premier ministre de l’époque, le désormais Premier ministre par intérim Yaïr Lapid, assurait l’Ukraine de son soutien sans faille. L’invasion russe est un moment délicat pour l’État hébreu, qui ne prend aucun risque en s’abstenant de livrer des armes à l’Ukraine et en refusant de prendre parti afin de ne pas fragiliser des relations externes et un équilibre interne déjà ébranlé. Or, les Israéliens ne pourront vraisemblablement pas continuer à louvoyer entre les deux camps. La pression russe devrait amener l’État hébreu à ne pas se mettre à dos Moscou, dans une période délicate d’isolement diplomatique suite au probable parachèvement de l’accord nucléaire iranien. De même, dans un discours adressé en visioconférence au Parlement israélien, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a critiqué l’absence de soutien d’Israël à l’Ukraine, les efforts de médiation de Naftali Bennett et le refus de l’État hébreu de fournir des drones et des systèmes antimissiles « Dôme de fer ».
Cette guerre russo-ukrainienne n’est pas davantage favorable aux Iraniens. Les discussions pour la conclusion d’un nouvel accord de Vienne ont été ralenties et poussent la République islamique dans une position d’équilibre inconfortable. Il lui faut ménager le camp occidental, pourtant honni, afin de s’assurer d’une issue favorable aux négociations sur le nucléaire. Mais dans le même temps, l’Iran ne peut pleinement soutenir son partenaire russe, dont l’aval est nécessaire pour mener à bien ses activités au Levant (renforcement de « l’axe de la résistance »), sans risquer de faire échouer les négociations avec Washington pour la conclusion d’un accord.
Quelle que soit l’issue des négociations de Vienne, les responsables israéliens estiment que l’Iran se rapproche progressivement mais sûrement du seuil nucléaire. Bien souvent réduits à l’image de « grand frère » de l’État hébreu, les États-Unis semblent prêts à signer un nouvel accord qui permettrait à Téhéran de recevoir des milliards de dollars bloqués par les sanctions internationales, disponibles pour financer son « axe de la résistance » tout comme l’activité régionale des pasdarans. Israël s’inquiète de l’absence de contrôle sur le programme balistique iranien et craint que l’Iran n’en profite pour renforcer ses milices alliées grâce à cette manne financière, comme entre 2015 et 2018.