Les armées russe et ukrainienne ont en commun d’avoir octroyé une place prédominante à leur artillerie puisque toutes deux sont issues de la défunte armée soviétique. L’arme n’a donc cessé de jouer un rôle crucial dès les débuts de la guerre en cours.
Son importance a encore été accentuée par l’efficacité limitée de l’aviation tactique des deux camps. Si les forces aérospatiales russes (VKS) effectuent bien de 100 à 300 missions de combat quotidiennes, leur efficience est compromise par un manque endémique de munitions de précision et la survivance du robuste système de défense antiaérienne à moyenne et longue portée ukrainien. Celui-ci contraint les aviateurs russes à voler à basse altitude, s’exposant ce faisant aux MANPADS ennemis.
Afin de limiter leurs pertes, et sauf en cas de crise grave, les pilotes des VKS en sont donc arrivés à recourir à l’usage de tirs balistiques. Les Su-25, Ka-52 et autres Mi-28N approchent de la ligne de front à basse altitude avant d’effectuer une ressource à quelques milliers de mètres de celle-ci, de tirer leurs roquettes, puis d’entamer aussitôt un virage descendant afin d’épouser le sol. Si la méthode permet de limiter au strict minimum l’exposition des aéronefs aux MANPADS adverses, elle rend ceux-ci assimilables à de simples « MRLS volants » à la précision très relative. Pour les mêmes raisons, l’aviation ukrainienne opère aussi de la sorte, tout en menant une trentaine de sorties quotidiennes au mieux.
Les bouches à feu de Poutine
La doctrine russe met de longue date l’accent sur l’emploi de l’artillerie, qui constitue son arme première. D’importants efforts ont été consentis au cours des deux dernières décennies afin de l’intégrer dans un complexe reconnaissance/frappe grâce à l’ajout d’un éventail de systèmes de guerre électronique, de drones de reconnaissance tactiques, principalement des Orlan-10 et, plus récemment, d’un système permettant de coordonner capteurs et effecteurs en temps réel, le ECY T3, lui-même un sous-composant du système « Constellation » de gestion tactique automatisée des forces armées. Ainsi, une position ou une batterie ukrainienne peuvent se voir engagées entre 45 secondes et une minute après leur détection par un Orlan-10. En 2014 déjà, les canonniers russes étaient capables de pilonner une unité adverse entre trois et 15 minutes après son repérage par drone ou par moyen d’écoute électronique.
L’artillerie des SV (Sukhoputnyje voyska, forces terrestres) est répartie entre ses 23 brigades et 11 divisions de tanks et de fusiliers motorisés ainsi que dans des unités distinctes assignées aux armées combinées ou encore aux cinq commandements opérationnels stratégiques en existence. Chaque brigade de tanks et de fusiliers motorisés dispose ainsi de son propre groupe d’artillerie pourvu de deux bataillons d’artillerie autopropulsée et d’un bataillon de lance-roquettes multiples BM-21 (MLRS). Chaque bataillon d’artillerie chapeaute trois batteries de six tubes chacune. Les brigades d’artillerie assignées aux armées combinées sont structurées de manière identique, mais dotées d’équipement plus lourds et/ou plus récents, comme les canons automoteurs 2S19 MSTA-S ou 2S7 Pion. Enfin, les brigades d’artillerie réactive sont plus petites, avec trois bataillons de six MLRS Uragan (220 mm), Smerch ou Tornado-S (300 mm) chacun et un unique bataillon d’artillerie conventionnelle. En tout et pour tout, l’arme alignait donc en 2020 un nombre colossal de pièces, avec plus de 300 BM-27 Uragan, BM-30 Smerch et 9A52-4 Tornado-S ainsi que plus de 500 BM-21 Grad. L’entièreté de parc d’artillerie était autopropulsée et dotée de tubes d’un calibre de 152 mm avec près de 1 400 2S3 Akatsiya, 2S5 Giatsint-S et 2S19 MSTA-S, seuls les 150 canons tractés 2A65 MSTA-B de 152 mm faisant exception, tout comme les 60 canons autopropulsés 2S7 Pion (203 mm) et les 150 2S1 Gvozdika (122 mm). À cet arsenal s’ajoutaient les parcs d’artillerie des forces aéroportées, de l’infanterie de marine et les inventaires des deux corps séparatistes dans le Donbass (1).
