Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Caucase du Sud : une extension du conflit ukrainien

L’invasion russe de l’Ukraine a déstabilisé non seulement l’Europe, mais aussi son voisinage immédiat, y compris l’environnement géopolitique hautement complexe du Caucase du Sud. Les répercussions de la guerre d’Ukraine se font ressentir dans les trois pays de la région, tous étroitement liés à la Russie, notamment par le commerce, les envois de fonds et le tourisme. Les sanctions économiques imposées contre la Russie ont énormément affecté le cours du rouble, diminuant les envois de fonds par les diasporas des trois pays caucasiens vivant en Russie. Cette situation risque de perdurer, car la Russie restera isolée à court et moyen terme. En outre, selon les prévisions du Programme alimentaire mondial, le monde est confronté à une crise alimentaire mondiale (1). En raison de la guerre, la Russie pourrait limiter davantage les exportations de blé afin de préserver sa propre sécurité alimentaire. Ceci toucherait directement le Caucase du Sud, car la Russie est le principal exportateur de blé vers ces pays, fournissant 94 % des besoins totaux de la Géorgie, 96 % pour l’Azerbaïdjan et 98 % pour l’Arménie.

La guerre en Ukraine a également affecté les politiques étrangères des trois pays, largement influencées par des acteurs extérieurs. Tout en mettant la priorité sur sa guerre en Ukraine, la Russie n’oublie pas sa présence dans le Caucase du Sud, en particulier à un moment où d’autres acteurs internationaux tentent d’y renforcer leurs positions. Les enjeux géopolitiques varient d’un pays sud-caucasien à l’autre en fonction de leurs relations avec la Russie.

La Russie fait-elle main basse sur la Géorgie ?

Ancienne pionnière des réformes de démocratisation réussies parmi les pays du Partenariat oriental, la Géorgie d’aujourd’hui se retrouve dans une situation plus difficile. En effet, il s’opère actuellement en Géorgie une scission institutionnelle quant à la position à adopter à l’égard de la guerre en Ukraine, opposant le Premier ministre géorgien, Irakli Garibachvili, à la présidente Salomé Zourabichvili. Après avoir initialement condamné l’invasion de l’Ukraine (2), Garibachvili a décidé que le pays maintiendrait une position neutre en renonçant à se joindre aux sanctions contre la Russie. Il a justifié cette politique par le besoin de défendre les intérêts nationaux. Cela a suscité de vives critiques en Ukraine et en Europe, ainsi qu’au sein de la société géorgienne. Craignant un isolement international de la Géorgie, Zourabichvili s’est activée auprès des partenaires européens pour tenter de calmer la situation (3). Cet affrontement interne se déroule dans une société habituée aux agressions russes et où l’opinion publique craint que la Géorgie ne fasse à son tour l’objet d’une intervention militaire russe. Cette crainte n’est pas sans fondement. Les troupes russes, en effet, sont toujours stationnées dans les régions sécessionnistes d’Abkhazie et de Tskhinvali (Ossétie du Sud). Indéniablement, cela constitue une menace pour le pays, qui n’est pas préparé à un tel affrontement sur le plan militaire.

Le gouvernement géorgien marche maintenant sur une corde raide, essayant de trouver un équilibre entre l’apaisement de la Russie et les aspirations géorgiennes à une intégration euro-atlantique. Ainsi, Tbilissi a manifesté sa volonté de travailler avec l’Occident en se joignant au vote pour expulser la Russie du Conseil de l’Europe, à la résolution de l’ONU condamnant la Russie et à l’enquête de la Cour pénale internationale sur les crimes de guerre russes présumés. L’avenir du rapprochement paraît toutefois incertain, vu que l’Union européenne a invoqué sa « conditionnalité négative » et carrément refusé le statut de candidat à la Géorgie. Ce déni n’est pas seulement dû à la décision de Tbilissi de maintenir une position neutre, mais aussi aux liens étroits qu’entretient le Rêve géorgien, parti au pouvoir à Tbilissi, avec certains dirigeants russes. Sans conteste, ces relations privilégiées ont conduit à une reprise des relations économiques entre les deux pays, ce qui pourrait avoir un effet déterminant sur l’orientation politique de la Géorgie, qui demeure un pays en développement en manque d’investissements étrangers.

Bien sûr, la décision de l’UE est fondée sur les principes établis qui régissent l’adhésion de nouveaux membres : l’intégration européenne implique certaines règles à suivre, des réformes à mettre en œuvre et, surtout, une politique étrangère cohérente à développer. Tant que ces conditions d’admission ne sont pas remplies, l’UE a le droit légitime de suspendre le processus d’intégration. Néanmoins, cette politique consistant à « punir » la Géorgie, même temporairement, comporte ses propres risques, car elle mène nécessairement à une dépendance économique croissante de Tbilissi à l’égard de la Russie, comme en témoignent les données des échanges commerciaux du pays (4).

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