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Amérique du Sud : quand la Chine pêche loin de chez elle

Déjà accusée de piller les ressources halieutiques au large des côtes asiatiques et africaines, la Chine déploie une flotte de pêche industrielle massive dans les eaux internationales, empiétant parfois sur les espaces d’autres États ou des aires protégées. Ces pratiques illégales se développent notamment en Amérique du Sud, comme au Pérou ou en Équateur, mais leur encadrement demeure un défi de taille.

En juillet 2020, une flotte de 260 bateaux de pêche détenus par des entreprises chinoises et/ou battant pavillon chinois est repérée par la marine équatorienne au large des Galapagos, archipel protégé pour sa biodiversité exceptionnelle. Sans que les navires de pêche soient entrés dans la zone économique exclusive (ZEE) du pays, les prises en bordure de cet espace suscitent des inquiétudes. D’autant que cet exemple n’est pas isolé. Les ONG dénoncent depuis de nombreuses années les pratiques des navires chinois au large des côtes africaines, qui jouent avec les limites de la réglementation en déployant des campagnes en bordure des ZEE, en dissimulant leur position GPS aux abords des aires protégées, ou, comme au Sénégal, en acquérant frauduleusement des droits d’exploitation dans des eaux territoriales que la plupart des États africains ont peine à surveiller faute de moyens. La pêche non déclarée et non réglementée est pratiquée par des navires-usines effectuant des prélèvements excessifs, parfois en utilisant des techniques dangereuses et/ou interdites en toute impunité, avec des effets environnementaux et sociaux dévastateurs pour les pays riverains.

« Sea grabbing »

La Chine est l’un des principaux acteurs de ces pratiques ; elle est aussi la plus grande puissance de pêche mondiale, avec quelque 15 millions de tonnes pêchées par an, soit 20 % des prises totales. Bordée par des mers poissonneuses mais aux stocks surexploités, la République populaire a fait de sa flotte de pêche un outil géopolitique en lien avec ses revendications territoriales, comme en témoignent les accrochages avec les navires d’autres pays aux frontières maritimes contestées par Pékin, tels que le Vietnam ou les Philippines. Et la flotte de pêche chinoise, forte d’environ 17 000 bateaux, subventionnée par l’État et de loin la plus importante au monde, se tourne depuis les années 1980 de plus en plus vers le large, dans le cadre d’une pêche mondialisée, pratiquée dans les eaux internationales ou dans d’autres ZEE de façon clandestine. Cette flotte exerce une pression forte sur les ressources halieutiques, prenant parfois la forme d’un véritable pillage : elle détient ainsi le triste record mondial de mauvaises pratiques de pêche ou « sea grabbing » (1).

Les eaux latino-américaines attirent particulièrement les convoitises chinoises depuis les années 2000. Chaque année, entre avril et septembre, une campagne mobilise des centaines de navires sur les côtes pacifiques, parmi les plus riches au monde en poissons, notamment en calamars, entre l’Équateur, le Pérou et le Chili, mais aussi dans l’Atlantique sud, au large de l’Argentine. Officiant 24 heures sur 24, ces navires sont accompagnés de vaisseaux frigorifiques et de pétroliers permettant d’assurer une longue période de pêche, et mettant à profit la difficulté des États de la région à contrôler leur ZEE et à se coordonner. En 2016, l’Argentine a coulé un bateau chinois qui était entré illégalement dans sa ZEE. En 2017, la marine équatorienne a arraisonné un navire chinois, le Fu Yuan Yu Leng 999, chargé de collecter par transbordement les prises de nombreux chalutiers, et qui renfermait dans ses cales près de 300 tonnes de poissons, y compris relevant d’espèces protégées, tel le requin-marteau. L’activité hauturière chinoise menace ainsi les écosystèmes et la sécurité alimentaire de communautés littorales.

Quelles mesures ?

Ce problème est difficile à gérer, la nature de ces pratiques imposant une réponse conjointe de plusieurs acteurs et la mobilisation de différents outils : renforcement de la surveillance maritime et aérienne par les pays riverains, aide des ONG ou des États-Unis, qui ont déjà dépêché des garde-côtes en appui des marines locales, protestations des ambassades sud-américaines à Pékin, poursuites judiciaires engagées par le Pérou ou l’Équateur, renforcement de la coopération régionale… La réponse pourrait venir de la Chine, qui cherche à donner d’elle-même une image plus responsable, entre autres dans le domaine de la gestion des ressources halieutiques, en renforçant la réglementation du secteur et en annonçant vouloir réduire ses subventions. La plupart des observateurs demeurent sceptiques quant à l’efficacité de ces mesures, rendant indispensable une régulation internationale plus stricte. C. Loïzzo

Note

(1) Poseidon – Aquatic Resource Management Limited/Global Initiative Against Transnational Organized Crime, The Illegal Unreported and Unregulated Fishing Index, janvier 2019.

La flotte chinoise au sud du continent américain
Article paru dans la revue Carto n°72, « Le défi des énergies  », Juillet-Août 2022.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

À propos de l'auteur

Clara Loïzzo

Professeure de chaire supérieure au lycée Masséna de Nice et membre du jury de l’agrégation interne d’histoire-géographie.

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