Il aura fallu la publication du Plan d’action contre le terrorisme (PACT), le 13 juillet 2018, pour que la pratique du retour d’expérience (RETEX) soit enfin imposée à l’ensemble de la communauté du renseignement. L’action 5 du texte prévoyait ainsi de « renforcer et systématiser les Retours d’expérience (RETEX) et le processus d’amélioration continue », sous l’égide de la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), « chargée de concevoir et mettre en œuvre une méthode de retour d’expériences qui associe tous les services concernés – services intervenants, services de renseignement et services enquêteurs – et qui porte non plus seulement sur les attentats réussis, mais également sur les actions déjouées ou échouées (1) ».
Cette décision vint compenser les préventions, sinon les réticences, de quelques structures du ministère de l’Intérieur à l’égard de ce réflexe méthodologique pourtant essentiel, bien connu des forces armées, des sapeurs – pompiers, des services de renseignement du ministère des Armées, et évidemment des unités d’intervention sérieuses (2) capables de travailler les concepts et désireuses, donc, de s’améliorer.
De l’importance d’être lucide
Finalement imposée après de nombreuses tergiversations, l’obligation du RETEX répond au besoin d’identifier les erreurs commises, de déterminer la meilleure façon de les corriger et de proposer, quoi qu’il en soit, un diagnostic honnête. La démarche heurte de plein fouet les postures publiques d’infaillibilité (3) et la volonté d’assurer aux forces et aux administrations un confort forcément trompeur. Il ne s’agit en effet pas tant d’identifier des responsabilités individuelles que de comprendre comment des systèmes complexes ont failli à la mission pour laquelle ils ont été conçus, financés et équipés. Le refus public de suivre une démarche de vérité est alors révélateur d’une incapacité à quitter ce faux confort pour affronter la réalité des menaces combattues (4).
La lucidité face à la réalité de ses propres capacités opérationnelles ne devrait jamais être optionnelle, et encore moins réduite au silence, mais au contraire saluée. On attend des chefs et plus généralement des cadres des constats documentés, des propositions argumentées et surtout pas la répétition ad nauseam de certitudes dépassées. Les plus importants échecs sécuritaires ou militaires puisent le plus souvent leurs sources dans un refus têtu de prendre en compte les évolutions de l’adversaire, les progrès techniques ou simplement les indices contraires à la ligne officielle (5).
En 2019, le « Guide méthodologique du retour d’expérience » publié par le ministère des Solidarités et de la Santé, reprenant une définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), écrivait que le RETEX était « une évaluation en profondeur des actions de gestion entreprises au cours d’un événement de santé publique, faites par la suite afin d’identifier les lacunes, les leçons et les meilleures pratiques. Le RETEX offre une approche structurée pour les individus et les organisations impliqués dans la préparation et la réponse aux événements sanitaires de réfléchir à leurs expériences et leurs perceptions sur la réponse donnée à l’événement. Le RETEX aide à identifier de manière systémique et collective ce qui a et ce qui n’a pas fonctionné, et pourquoi et comment s’améliorer (6) ».
Les RETEX doivent donc être réalisés avec la plus haute exigence intellectuelle afin de comprendre les échecs – mais aussi les succès, qui ne sont jamais parfaits et reposent parfois sur la chance. Ils doivent être le fruit d’un processus débarrassé des contraintes politiques (7) et s’approcher le plus possible de la pureté de la démarche scientifique, aucun progrès ne pouvant être réalisé sans la volonté collective de s’améliorer.
Étudier son échec, étudier l’adversaire
Il serait cependant réducteur de ne considérer les RETEX que comme un outil d’étude de son propre service ou de sa propre unité. Tout travail analytique visant à comprendre les conditions d’un engagement ou les raisons d’un échec ne peut faire l’économie d’une compréhension fine de l’adversaire. Celui-ci, en effet, n’est jamais statique et a lui aussi à cœur de sortir victorieux de l’affrontement ou de la crise qu’il a déclenchés. Dès lors, puisqu’il s’agit de reprendre froidement un événement et son déroulé, il est indispensable de connaître l’ennemi, ses méthodes, sa doctrine, ses réflexes et le cadre mental, administratif et idéologique dans lequel il opère et dans lequel, surtout, il a opéré. C’est seulement ainsi que les décisions prises et les éventuels dysfonctionnements observés peuvent être contextualisés, expliqués, et plus tard corrigés. Le RETEX ne peut donc être ni une enquête inquisitoriale ni un exercice réalisé par de seuls non – praticiens. Il n’est pas non plus un audit réalisé à froid, sans lien avec une actualité particulière, par une structure de contrôle comme l’est en France l’Inspection des services de renseignement (ISR) (8) puisque son essence même est de suivre un évènement (9).