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Réfugiés : un défi humain et géopolitique

Entre la guerre en Syrie en cours depuis 2011 et le tremblement de terre en Turquie en février 2023, les tragédies se succèdent au Moyen-Orient. Les conséquences sur les populations civiles sont immédiates : elles doivent quitter leur foyer, voire leur pays, en quête d’une terre d’accueil sûre, tout en espérant retourner un jour chez elles. Or cela n’est pas toujours possible, à l’instar des Palestiniens, qui revendiquent ce droit depuis 1949.

ans une Palestine sous mandat britannique (1923-1948), le conflit pour un Israël indépendant génère combats, tensions et déplacements de populations, alors que s’enclenche la première guerre israélo-arabe (1948-1949). Il s’ensuit ce que les historiens ont retenu comme la Nakba, « catastrophe » en arabe. C’est l’exode de quelque 700 000 Palestiniens. La situation humanitaire est d’une telle gravité que l’ONU, juste naissante après la Seconde Guerre mondiale, crée une agence spécialisée : l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Nous sommes en 1949. Plus de soixante-dix ans plus tard, ces réfugiés palestiniens sont 5,7 millions en 2022, selon les données officielles ; plus de 7 millions en réalité (1).

Afghans et Syriens

Ce chiffre est énorme en comparaison avec le nombre total de personnes à travers le monde qui ont été forcées soit de bouger à l’intérieur de leur pays, soit de trouver refuge dans un autre : 103 millions mi-2022, selon l’ONU, dont 53,2 millions de déplacés internes et 32,5 millions de réfugiés, sans compter donc les Palestiniens (2). Leur protection est assurée par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), créé en 1950 et basé à Genève (Suisse), ville qui donne son nom à la convention définissant le statut de ces individus et leurs droits (dont celui d’asile). Le Maghreb et le Machrek représentent une part non négligeable, tandis qu’il ne faut pas oublier les Afghans, enregistrés comme « Asiatiques » par l’UNHCR. En janvier 2023, soit un an et demi après le retour des talibans au pouvoir à Kaboul et des décennies de conflits, ils étaient 8,2 millions à être en dehors de leur pays, principalement en Iran (4,5 millions) et au Pakistan (3,7 millions) ; seuls 2,7 millions d’entre eux sont connus de l’ONU.

Au Moyen-Orient, l’État le plus concerné est la Syrie, avec 5,3 millions de personnes (en date du 23 mars 2023) ayant fui les combats et la répression vers l’étranger. La plupart résident en Turquie (3,6 millions), se transformant souvent en otages des stratégies politiques d’Ankara dans ses relations à la fois avec les acteurs locaux/nationaux et la communauté internationale. Et 6,7 millions sont des déplacés, qui ne rentreront sans doute jamais chez eux, principalement à cause des destructions du conflit et des conséquences humaines de ce dernier. Les camps temporaires deviennent des « villes ». Les Irakiens, eux, sont peu à avoir dépassé les frontières (environ 290 000), mais ils sont 1,1 million de déplacés. Leur retour à la maison pose le même problème que pour les Syriens, tandis que les réflexes communautaires se sont accentués. Coincés entre l’Arabie saoudite qui les bombarde depuis 2015 et l’océan, 4,3 millions de Yéménites ont dû quitter leur foyer, sans espoir d’y retourner face à la catastrophe humanitaire en cours.

Quel droit au retour ?

En ce qui concerne les Palestiniens, le fait d’être rattachés à une agence onusienne spécifique les exclut des dispositions prévues par la convention de Genève. S’ils veulent bénéficier des aides de l’UNRWA, ils doivent « vivre » dans l’un des 58 camps officiellement recensés en 2022 : la majorité se trouve dans les Territoires palestiniens même (19 en Cisjordanie et 8 dans la bande de Gaza), puis au Liban (12), en Jordanie (10) et en Syrie (9). Leur droit au retour a été acté par l’ONU dès 1948 (résolution 194), mais il est systématiquement rejeté par Israël, pour des raisons politiques et démographiques. De plus, « rendre » les terres et les habitats attribués aux Israéliens aux familles palestiniennes est une utopie, d’autant dans un contexte d’expansions des colonies. Le quotidien est dur, généralement sans eau ni électricité, comme à Shoufat (Jérusalem-Est), qui possède le record mondial de densité : 50 000 personnes au kilomètre carré ! Chez les voisins, ils sont souvent l’objet de discriminations, comme en Jordanie et au Liban, où ils ne peuvent par exemple prétendre qu’à une liste restreinte d’emplois et où les autorités entretiennent à dessein le flou sur les données statistiques.

Le droit au retour figure parmi les priorités dans les négociations internationales, qui n’aboutissent pourtant jamais à rien de concret. Pour les Palestiniens, les autorités israéliennes appellent à son abandon pur et simple ; pour les autres, des États défaillants et corrompus sont au cœur de systèmes alimentant une dépendance de personnes vulnérables vis-à-vis des humanitaires, sans perspective ni solution durable. Au Moyen-Orient plus qu’ailleurs, toute crise crée un effet multiplicateur sur les populations civiles, alors que la communauté internationale doit à présent gérer les conséquences de la guerre en Ukraine, qui a généré 5 millions de réfugiés en Europe en seulement un an.

Réfugiés et déplacés du Moyen-Orient

Les Palestiniens, une géographie proche-orientale (2022)

Notes

(1) Guillaume Fourmont et Anne Lohéac, « Regard de Rima Hassan Mobarak sur les réfugiés au Moyen-Orient », in Moyen-Orient, no 58, avril-juin 2023, p. 10-14.

(2) L’UNHCR propose une base de données sur : www​.unhcr​.org/​r​e​f​u​g​e​e​-​s​t​a​t​i​s​t​ics ; des focus par pays sont disponibles sur : https://​data​.unhcr​.org/​e​n​/​s​i​t​u​a​t​i​ons

Article paru dans la revue Carto n°77, « France d’outre-mer : des territoires en souffrance  », Mai-Juin 2023.

À propos de l'auteur

Guillaume Fourmont

Guillaume Fourmont est le rédacteur en chef des revues Carto et Moyen-Orient. Il a précédemment travaillé pour les quotidiens espagnols El País et Público. Diplômé de l’Institut français de géopolitique (université de Paris VIII Vincennes Saint-Denis), il est l’auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite : La guerre intérieure (Ellipses, 2005) et Madrid : Régénérations (Autrement, 2009). Il enseigne à l’Institut d’études politiques de Grenoble sur les monarchies du golfe Persique.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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Gaëlle Sutton

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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