Dans le cadre de l’opération « Wuambushu » lancée par les autorités françaises pour faire face à l’immigration illégale, les narratifs « rideau de fer dans l’eau » et « opérations civilo-militaires » sont venus renforcer la dialectique comorienne, traduisant, en parallèle, et malgré eux, une autre forme de réalité géopolitique en cours de développement, comme l’atteste l’influence grandissante de Moscou et de Pékin dans la région.
Lancée en avril 2023 à Mayotte, l’opération « Wuambushu » visait la reconduite massive dans leur pays d’origine de personnes en situation irrégulière, principalement des ressortissants comoriens. Conduite par les forces de police et de gendarmerie, dont d’importants effectifs projetés pour la circonstance, elle a clivé les opinions publiques sur le territoire. L’opération a ainsi fait l’objet d’une médiatisation nationale et internationale. Elle devait concerner 20 000 personnes à son terme au mois de juin 2023. Les résultats de cette opération ayant été très éloignés des objectifs affichés, l’opération « Wuambushu 2 » a été décidée.
Cette nouvelle initiative s’est inscrite dans un contexte de dégradation de la cohésion sociale sur le territoire. Des Mahorais se sont constitués en groupe d’action dénonçant l’insécurité critique à Mayotte qu’ils attribuent à l’immigration clandestine, principalement d’origine comorienne. Pour se faire entendre, des barrages routiers ont été élevés, handicapant l’activité de l’ile déjà souffrante. Dans le cadre de sa présentation par le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, il a été exposé un dispositif maritime empêchant l’immigration illégale entre les Comores et Mayotte qualifié de « rideau de fer dans l’eau ». D’autre part, l’action des forces de l’ordre a été présentée comme une « opération civilo-militaire ». L’usage de ces termes interpelle.
Or, les errances de la communication politique de Beauvau contribuent à un façonnage cognitif concernant la situation mahoraise. Le discours ministériel exprime ainsi un construit de représentation du territoire. Cette construction intervient au plus mauvais moment dans le contexte d’annonce de suppression du droit du sol, faisant de Mayotte une exception française, qu’exploite la partie comorienne afin de souligner l’incongruité, selon elle, de l’appartenance de Mayotte à la France.
Mayotte : nouvelle frontière et rideau de fer
L’expression de la volonté du ministre de l’Intérieur de mettre un terme aux flux migratoires vers Mayotte en usant de l’image d’un rideau de fer dans l’eau n’est sans doute pas la plus heureuse. Les effets de l’eau salée sur le fer étant ce qu’ils sont, l’efficacité du dispositif porte dans sa définition ses propres limites. La communication de Beauvau devrait faire preuve sinon de plus d’imagination, du moins de plus de sagacité. Toutefois, le propos n’est pas sans intérêt en le réinscrivant dans une perspective géopolitique. Le ministre de l’Intérieur français voulant exprimer une barrière infranchissable entre les Comores et le continent africain d’une part, et Mayotte d’autre part, use donc d’un terme daté et significatif d’un rapport entre deux blocs idéologiques portant une vision du monde, un projet et des valeurs les distinguant, voire les opposant.
Dans leur errance, les excès de la communication politique, sans cesse à la recherche d’images fortes en dépit de la perte de sens, n’ont involontairement pas « tapé » si loin cette fois-ci, quand on extrait le propos de son contexte de sécurité intérieure pour le réinscrire en perspective d’une grille de lecture géopolitique. Il ressort en effet que les Comores sont l’objet de l’attention prononcée de deux acteurs globaux structurants d’une recomposition de l’ordre mondial : la Russie et la Chine. Dans ce contexte, Mayotte peut être vue à la fois comme l’espace de développement de ces stratégies dans notre zone, en même temps qu’elle en devient un enjeu.
Regain d’intensité de l’activité diplomatique russe avec les Comores
Le 16 février dernier, dans un entretien accordé au journal comorien Al-watwan, l’ambassadeur de Russie à Madagascar, Andrey Andreev, qui a compétence sur les Comores, déclare que « la Russie est prête à examiner toutes les demandes de la partie comorienne » et décline en précisant que « sur le plan politique et diplomatique, je voudrais souligner le soutien continu de la Russie au droit légitime des Comores à restaurer la souveraineté sur l’ile de Mayotte conformément aux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU ». Un propos que le média en ligne Comores-infos a agrégé et synthétisé en titre par le fait que « la Russie se dit prête à aider les Comores à récupérer Mayotte » (2), contribuant à façonner un nouvel environnement cognitif autour de ce dossier, particulièrement vers une audience comorienne, mais aussi à de possibles relais à Mayotte et dans l’Hexagone. Ce qui interroge : dans quelle mesure peut-on considérer que le cas de Mayotte n’est plus un dossier de développement territorial mais un dossier de sécurité nationale ?