Pendant la période de la guerre froide, le marché des avions de contrôle et d’alerte avancée (AEW&C, Airborne Early Warning and Control) était incontestablement dominé par les E‑3 Sentry et E‑2 Hawkeye américains. Ces avions-radars, véritables postes de commandement aériens, étaient alors très complexes à concevoir, mais aussi à opérer. Néanmoins, améliorant les systèmes qu’ils ont mis au point dès la fin de la guerre froide, certains experts de l’électronique comme Saab, ELTA ou IAI sont en train de renforcer les positions qu’ils ont réussi à conquérir sur un marché longtemps dominé par les avionneurs américains Boeing et Northrop Grumman… qui n’ont cependant pas dit leur dernier mot.
Dès la fin des années 1980, deux révolutions technologiques viennent annoncer le futur changement de paradigme dans le milieu des AEW&C. D’une part, les technologies d’antennes radar à balayage électronique actives (AESA) permettent désormais de développer des radars plats et fixes performants. Fini donc les imposants rotodômes qui tournent en continu au-dessus de l’avion porteur : l’AESA peut se fixer sur les flancs, le dos ou le ventre d’un appareil, en s’adaptant à différents modèles d’avions. Dès lors, les programmes d’AEW&C peuvent être menés par des électroniciens qui choisiront leur cellule sur étagère, et non plus par les grands fabricants d’avions militaires.
D’autre part, l’augmentation de la puissance de calcul informatique permet de développer des logiciels et des algorithmes de traitement du signal très efficaces, réduisant la charge de travail des opérateurs, et donc la taille des équipages. Les premiers modèles reposant sur cette architecture, comme l’EL/M‑2075 Phalcon israélien, sont encore imposants. Mais la miniaturisation des composants va permettre aux électroniciens – notamment suédois et israéliens – d’intégrer leurs systèmes sur des avions plus légers et avec un équipage réduit, rendant leurs offres plus personnalisables et abordables.
Nouvelles technologies et multiplication des plateformes
Aujourd’hui, le marché des avions AEW&C est sans doute plus intéressant que jamais. Ayant miniaturisé leur équipement, les israéliens IAI et ELTA proposent désormais le système EL/W‑2085, intégré dans le fuselage d’un Gulfstream G550 et exporté en Italie et à Singapour. Si l’Inde développe son propre AEW&CS Netra, monté sur Embraer‑145, elle avait auparavant fait l’acquisition de l’EL/W‑2090, une version du système intégrée dans le rotodôme d’un Beriev A‑50, l’avion-radar de conception russe qui a aussi inspiré le KJ‑2000 chinois. Contrairement à l’A‑50 de base, les variantes indiennes et chinoises utilisent des antennes AESA placées dans le rotodôme de l’avion. Cette approche qui combine l’agilité électronique de l’antenne AESA et le positionnement mécanique du rotodôme a également été choisie par Northrop Grumman pour son E‑2D Advanced Hawkeye, en cours de production pour l’US Navy et la Marine nationale.
Du côté de chez Boeing, la cellule du 707 était résolument trop ancienne, et l’AWACS basé sur le 767 n’avait trouvé preneur qu’au Japon. C’est donc le Boeing 737 qui a été choisi comme base au remplaçant de l’AWACS. Désigné E‑7 Wedgetail, le nouvel appareil est doté d’un radar AESA (fabriqué par Northrop Grumman et placé au-dessus de l’avion), et est entré en service en Australie en 2010. Il a depuis été vendu en Turquie, en Corée du Sud, mais aussi plus récemment au Royaume-Uni et enfin aux États-Unis. Et l’avion, dans sa dernière version, est déjà candidat au renouvellement des 14 AWACS opérés directement par l’OTAN et pourrait bien, dans quelques années, être proposé à la France pour le remplacement des E‑3F Sentry récemment modernisés.
Mais, sur ces deux marchés, Boeing devra faire face à un sérieux concurrent : Saab. Le groupe suédois dispose en effet de décennies d’expérience en matière de systèmes AEW&C, notamment grâce à sa gamme de radars Erieye qui a su s’adapter, au fil des années, sur un large panel d’avions : Saab 340, Saab E‑2000, Embraer‑145… De quoi en faire, avec une trentaine d’appareils en service ou en commande pour le compte d’une dizaine de pays, le système AEW&C le plus répandu au monde après les E‑3 et E‑2 américains. Désormais, le système Erieye‑ER (Extended Range) est proposé sur la base d’un avion d’affaires Bombardier Global 6000/6500, déjà vendu en Suède et aux Émirats arabes unis. Portant le nom de GlobalEye, ce système est bien plus qu’un AEW&C puisque, outre l’Erieye positionné au-dessus de l’avion, il peut embarquer un radar ventral pour la surveillance maritime et terrestre, une boule optronique multifonctions, et une suite SIGINT. De quoi en faire un avion de détection lointaine de référence pour toutes les opérations aériennes, aéroterrestres et aéromaritimes.
Fusion de données, IA et polyvalence des plateformes
Les capacités théoriques offertes par ces AEW&C de dernière génération sont impressionnantes, mais en réalité assez logiques, étant donné l’évolution des technologies ces dernières années. Si, extérieurement, les antennes Erieye et Erieye‑ER se ressemblent beaucoup, tout comme celles de l’E‑7 de Boeing, du KJ‑200 chinois ou du Netra indien par exemple, les systèmes embarqués dans les AEW&C modernes sont proprement révolutionnaires si on les compare à ce qui se faisait il y a une vingtaine d’années. Concrètement, les systèmes informatiques de commandement, de contrôle et de gestion du combat font désormais la part belle à la fusion de données (y compris en provenance de transmissions externes), et les algorithmes d’intelligence artificielle viennent simplifier et fluidifier le travail des opérateurs embarqués. Cela permet à ces derniers de traiter plus efficacement un plus grand nombre de menaces, et donc d’étendre leur champ d’action aux opérations terrestres et navales, si nécessaire.
Disperser et multiplier la mission AEW&C : vers un nouveau paradigme ?
Si les technologies actuelles permettent de concevoir des avions de commandement plus performants et plus polyvalents que jamais, l’évolution attendue dans les domaines des IA, des transmissions par satellite, des communications laser ou encore des liaisons de données sécurisées permet d’entrevoir le futur de la mission AEW&C. D’ici à quelques années, des drones intégrant des antennes AESA ultraplates directement dans leurs ailes pourraient servir de piquets radars à longue distance, effectuant un prétraitement de l’information grâce à des IA embarquées, avant de transmettre leurs données par satellite à l’ensemble du réseau. Les avions AEW&C, déployés à proximité du champ de bataille, pourront aussi prendre le contrôle direct de flottes de drones de détection chargés d’étendre leur bulle de surveillance, tout en contrôlant directement des missiles de croisière ou des remote carriers armés (voir notre article p. 30), si la mission l’exige. Cette dilution sur de multiples vecteurs interconnectés offrirait à la mission AEW&C plus de redondances, de permanence et de performances, et la rendrait virtuellement indispensable à la conduite de toutes les opérations militaires à venir.