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Sous-marins conventionnels en Europe : réveil stratégique et ambitions océaniques face aux compétiteurs régionaux ?

Tandis que les sous-marinades des deux puissances nucléaires du continent, la France et le Royaume-­Uni, ne cessent de clamer leur ambition stratégique pour la zone indopacifique, le « retour » de la guerre en Europe, tout comme l’ensemble des enjeux qui pèsent sur le trafic maritime, que celui-ci soit matériel ou immatériel, ne font que confirmer une tendance : la modernisation des flottes de sous-­marins conventionnels est enclenchée, permettant même à certaines marines de se découvrir des aspirations océaniques.

Avec trois théâtres majeurs que sont la Méditerranée (et la mer Noire), la Baltique et l’Atlantique nord (plus l’Arctique), l’Europe demeure un haut lieu des stratégies maritimes. Hormis la France et le Royaume-­Uni, qui possèdent chacun quatre sous-­marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et une demi-douzaine de sous-­marins nucléaires d’attaque (SNA) (1), neuf pays européens disposent d’une flotte de sous-­marins dits conventionnels. Si les théâtres du nord font naturellement face à la Russie, la Méditerranée n’est pas à négliger, puisque, d’est en ouest, Israël, la Turquie, l’Égypte et l’Algérie sont également dotées de forces sous-­marines (à cela s’ajoute la question des capacités réelles de la flotte russe de la mer Noire, quasi neutralisée par la guerre en Ukraine). Dans le domaine des sous-­marins diesels-­électriques (dénomination SSK), le marché global est certes dominé par la course aux armements en Asie, mais c’est bien en Europe que la croissance s’annonce la plus remarquable, traduisant la préoccupation de plusieurs nations s’agissant de la sécurité des flux maritimes et des atouts énergétiques.

Les Scandinaves s’affirment

Conséquence directe de sa guerre menée en Ukraine, l’une des grandes – si ce n’est la plus grande – défaites stratégiques de la Russie depuis février 2022 aura été d’avoir jeté la Finlande et la Suède dans les bras de l’OTAN, terminant de facto de consacrer le statut de « lac otanien » de la mer Baltique. Dans le même temps, l’intérêt et la vigilance autour de la problématique de l’Arctique s’en trouvent renforcés, tout comme le besoin de maîtriser le Seabed Warfare, pour protéger câbles sous-­marins et autres pipelines face à de possibles actions armées.

Présente en première ligne, de la Baltique jusqu’au cercle arctique, la Norvège est un acteur historique sur lequel repose d’ailleurs un pan entier de la stratégie maritime de l’OTAN. Bien consciente des enjeux, Oslo vient de démarrer, en coopération avec l’Allemagne et son leader mondial sur le marché des SSK, ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS), la production de six sous-­marins Type‑212CD. Ce « marché commun » à 5 milliards d’euros aboutira à la livraison de quatre submersibles à la Norvège, et deux à l’Allemagne (nous allons y revenir), inaugurant à partir de 2029 une ère de modernisation et de nouveaux standards sur le flanc nord de l’Alliance. Ce partenariat comprendra également l’entraînement des équipages et un système de combat développé en commun. Dès 2024, la Norvège pourrait décider de lever l’option pour quatre bâtiments supplémentaires, ce qui porterait sa flotte à huit SSK, contre six par le passé. Elle a de plus ajouté qu’elle était ouverte à l’entrée de nouveaux partenaires dans le programme des Type‑212CD.

Du côté des nouveaux entrants dans l’OTAN, la Finlande ne possède pas de sous-­marin, et n’a pour le moment pas émis le souhait de changer cet état de fait. La Suède, en revanche, dispose d’une sous-­marinade et de chantiers particulièrement respectables. Elle se positionne dans une logique de remontée en puissance depuis 2014 et l’annexion de la Crimée par la Russie, et développe une vraie doctrine de combat naval qui prend en compte les dernières évolutions de la guerre hybride ou du Seabed Warfare. Deux sous-­marins de nouvelle génération de la classe Blekinge (type A26) de Saab Kockums, particulièrement polyvalents, sont en chantier, et deux Gotland (A19) datant des années 1990 ont été rénovés à mi-vie, avec des briques technologiques issues du type A26, comme un nouveau système de combat, un nouveau sonar, un mât optronique qui remplace le périscope traditionnel, et l’ajout remarquable d’un sas destiné aux opérations spéciales, ou aux drones. L’emploi de ces éléments permettra d’ailleurs de les mettre à l’épreuve avant même l’entrée en service du premier A26 en 2027. Il est aussi question de rénover un troisième Gotland. Ajoutons que les ambitions de Saab sont désormais à l’export, concernant la classe A26, proposée en trois configurations, qui varient en termes de dimensions et de missions, littorales pour le petit A26 Pelagic, qui ne fait que 50 m de long pour environ 1 000 t de déplacement en surface, ou hauturières pour les deux autres versions, l’A26 Oceanic et la version agrandie A26 Oceanic Extended Range. Toutes sont capables d’accueillir à la demande une section VLS pour missiles de croisière : trois silos de six cellules chacun qui représentent un potentiel offensif impressionnant. Lancée en 2015, ce programme est absolument structurant pour la Suède qui y a énormément investi. Les futurs HMS Blekinge et HMS Scanie de la marine suédoise sont basés sur la version Oceanic de l’A26. Long de 66 m, ils présentent un déplacement de 1 950 t en surface, et emporteront huit commandos en plus de 26 membres d’équipage. Saab communique beaucoup sur les capacités interarmées, mais également civilo-­militaires de l’A26, les acteurs civils pouvant disposer d’un canal de communication tactique avec le sous-­marin en mission, notamment pour des missions océanographiques ou pour le déploiement de charges utiles sur le plancher océanique. La composante forces spéciales et drones y tient une importance toute particulière. Les missions de renseignement, d’intervention, de déminage… sont rendues possibles nativement grâce à l’intégration d’un sas « extra-­large », couplé à un hangar, permettant de déployer et de récupérer facilement des nageurs ou des drones. Sur ce segment si particulier des opérations spéciales sous-­marines, l’industriel tente un vrai pari avec la volonté de s’imposer sur une niche.

Saab s’est de plus allié à Damen aux Pays-Bas pour concourir au grand programme « WRES » (Netherland’s Walrus Replacement Programme) avec un A26 en version « Oceanic Extended Range », long de 80 m pour 3 000 t, parfois également désigné C71 pour le marché néerlandais. Ce dernier, avec une autonomie de 50 jours à la mer, double presque son temps de mission par rapport aux deux autres versions de l’A26 (respectivement 20 et 30 jours à la mer). Ces deux entreprises y affronteront l’allemand TKMS associé aux ateliers de maintenance de la marine néerlandaise avec le Type‑212CD, et surtout le duo Naval Group/Royal IHC. Si le groupe français continue de proposer son Scorpène sur certains marchés, notamment les Philippines et l’Indonésie, le marché néerlandais a été abordé avec une version conventionnelle du Barracuda, a priori plus compact que la version nucléaire française (99 m et 4 700 t, pour rappel). Le Barracuda proposé aux Pays-Bas pourrait disposer d’une hélice-­pompe carénée lui conférant une grande discrétion, d’une capacité de tir de missiles de croisière, mais aussi de certaines adaptations spécifiques à ce marché, comme des barres de plongée sur le kiosque et une capacité de déploiement expéditionnaire de longue durée. C’est bien le contexte de la guerre en Ukraine qui a subitement accéléré le réveil de ce programme d’acquisition portant sur quatre bâtiments, qui avait pris énormément de retard, ce qui générera un trou capacitaire de plusieurs années. Décision attendue à la fin de cet hiver 2024.

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