Magazine DSI

La riposte israélienne au 7 Octobre : succès tactiques et impasse stratégique

Passé le choc des attaques terroristes du 7 octobre 2023, plus vaste pogrom depuis la Deuxième Guerre mondiale (1), les autorités israéliennes ont déclenché une offensive qui, de semaine en semaine, est passée du statut de riposte massive à celui d’opération de destruction systématique. Les déclarations officielles de Tel-Aviv au sujet du soin supposément apporté à la précision des frappes contre des objectifs à Gaza puis à Beyrouth n’ont guère convaincu en raison des très importantes pertes civiles occasionnées.

On pourra toujours arguer que les opérations aériennes israéliennes n’ont pas le caractère massif des raids russes en Syrie à partir de 2015, et encore, mais il est manifeste qu’elles sont d’une puissance excessive et que le bilan humain, catastrophique et dont l’ampleur est inédite depuis le début des guerres israélo-arabes, a fait perdre à Israël le leadership moral qui lui avait été garanti par l’invasion terroriste du 7 octobre et ses innombrables exactions.

Le ciblage au cœur de la manœuvre israélienne

La nature de l’attaque du 7 octobre ne pouvait pas ne pas provoquer une très vive réaction israélienne. Dans la nuit du 7 au 8, le cabinet du Premier ministre rendit publique sa volonté de « détruire les capacités militaires et gouvernementales du Hamas et du Jihad islamique(2) ». Cette politique fut mise en œuvre dès le 8 octobre, d’abord par le lancement d’une campagne aérienne puis par une série d’incursions terrestres.

La stratégie israélienne s’appuyait sur les capacités de détection et de ciblage des services de renseignement, particulièrement expérimentés après des décennies d’opérations contre les groupes palestiniens, le Hezbollah et l’appareil militaro-sécuritaire syrien. L’association des plus importantes capacités techniques de la région et d’une maîtrise ancienne du renseignement humain offrit à l’armée israélienne la possibilité de frapper responsables et cellules des mouvements qu’elle affrontait. L’observation méticuleuse de la bande de Gaza permit ainsi, en quelques heures, de lancer une campagne d’une rare intensité dont les objectifs étaient manifestement aussi opérationnels que politiques.

Les déclarations publiques concernant le soin apporté à la préservation, autant que possible, des vies civiles ne résistèrent pas à l’ampleur des destructions constatées. La révélation de l’emploi intensif d’un programme de ciblage, Lavender, utilisant l’intelligence artificielle pour identifier des objectifs, confirma que la doctrine opérationnelle israélienne avait une définition très large des cibles pouvant être visées et faisait, de facto, de milliers de civils gazaouis des membres du Hamas en puissance (3). À la lumière des autres campagnes de ciblage mises en œuvre depuis 2001 par les États-Unis ou la France, en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen, en Somalie, en Libye et au Sahel, il ne fait aucun doute que ce choix n’était pas l’œuvre d’un programme seul, comme Skynet dans la série des Terminator (4), mais était bien le fruit d’une décision politique. En quelques jours de riposte israélienne, il fut ainsi acquis que la politique de destruction de l’appareil du Hamas et du Djihad islamique palestinien allait en réalité être une punition collective assumant des actions indiscriminées. L’enquête réalisée par +972 Magazine révéla d’ailleurs qu’il était « permis » aux planificateurs de tuer « de 15 à 20 civils  » pour chaque opérationnel subalterne du Hamas à éliminer (5). Avec de telles règles d’engagement, et au vu de l’intensité de la campagne aérienne israélienne (6), le vertigineux bilan humain s’explique parfaitement et il doit d’abord être imputé aux responsables politiques israéliens (7). Quoi que l’on dise, le tapis de bombes n’est pas une forme extrême de ciblage.

Une incontestable virtuosité opérationnelle

À cette campagne aérienne massive contre Gaza se sont ajoutés des coups de maître opérationnels (8) contre les plus hauts responsables des ennemis d’Israël au Liban, en Syrie et en Iran. En assumant une ligne politique dure et en évaluant au plus juste les risques d’escalade, l’armée israélienne a fait la démonstration de son excellence opérationnelle et de l’efficacité des services de renseignement du pays dans le domaine de l’action clandestine.

Le 1er avril 2024, un raid contre le consulat iranien à Damas entraîna la mort de plusieurs officiers du corps des Gardiens de la révolution (9), dont deux généraux. La République islamique d’Iran riposta le 13 avril suivant par une salve de missiles et de drones, dont certains furent interceptés par les moyens américains, britanniques ou français déployés dans la région, ainsi que par la Jordanie.

Tandis qu’Israéliens et Iraniens s’adressaient des messages de 
dissuasion réciproque par l’intermédiaire de frappes soigneusement calibrées (10), Tel-Aviv préparait des actions autrement plus audacieuses. Le 30 juillet, un raid dans la banlieue sud de Beyrouth tua l’un des plus importants responsables militaires du Hezbollah, Fouad Chokr. Vétéran de l’organisation, il était fortement soupçonné d’avoir été impliqué dans les attaques du 23 octobre 1983 contre les casernements des Marines américains et des parachutistes français à Beyrouth (307 morts, dont 241 soldats américains et 58 soldats français) et d’avoir autorisé un tir de roquette contre une localité druze du Golan le 27 juillet 2024.

Le lendemain, 31 juillet, le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, mourait dans l’explosion de la villa de Téhéran dans laquelle il résidait. La piste initiale d’une frappe aérienne fut écartée au profit de celle du piégeage du bâtiment, au moins deux mois avant, par une équipe des services de renseignement israéliens ayant pu agir au cœur de Téhéran (11).

Plus spectaculaire encore fut l’explosion, le 17 septembre 2024, de centaines de bipeurs piégés dans les mains de membres du Hezbollah au Liban (12). L’opération, d’une audace et d’une complexité inédites, révéla une planification patiente (13) et, sans le moindre doute, la pénétration de l’appareil du Hezbollah par Israël. Celle-ci fut confirmée le 27 septembre suivant par une frappe aérienne massive – « des dizaines de projectiles (14) – contre le QG du Parti de Dieu à Beyrouth, qui entraîna la mort du secrétaire général du mouvement, Hassan Nasrallah, et de plusieurs de ses proches collaborateurs. Enfin, et comme pour parachever la déroute militaire des opposants à Tsahal, le chef militaire du Hamas, Yahya Sinwar, fut abattu presque par hasard à Gaza le 16 octobre par une patrouille israélienne.

0
Votre panier