« Crédibilité stratégique » ? L’idée est connue, et depuis longtemps très présente dans les articles, ouvrages et débats traitant de stratégie générale. Toutefois, depuis la fin de la guerre froide, le concept, lui, n’a pas fait l’objet de beaucoup de travaux – c’est-à-dire de définitions claires –, du moins dans le champ des études stratégiques.
Puisque toute crédibilité dépend du regard des autres, il est en l’occurrence fructueux d’opérer un détour par la théorie des relations internationales non occidentale pour avoir une approche décentrée de ce que peut recouvrir ce concept au sens stratégique, compte tenu des bouleversements de l’échiquier multipolaire actuel.
Dans un article de 2022, publié dans East Asian Affairs, Jiang Fangfei, de l’Académie chinoise des sciences sociales de Pékin, définit ce qu’est selon lui une crédibilité internationale : « […] l’évaluation globale de la fiabilité des capacités et des intentions d’un pays par les autres pays de la communauté internationale (1) ». De cette évaluation dépendrait « une forme de réputation nationale ». L’auteur se penche ensuite sur la « crédibilité stratégique internationale ». Cette dernière, comme le pointe l’article, fait l’objet d’un très grand nombre de travaux chinois récents. Point commun de ces spécialistes : tous semblent affirmer qu’une crédibilité stratégique véritable dépendrait, non pas des simples facteurs de force, mais d’abord de la capacité à planifier stratégiquement de manière continue, de l’aptitude à stabiliser la conduite des affaires étrangères, et de l’art de pratiquer une diplomatie ouverte.
Cette insistance chinoise sur un triptyque agrégeant la continuité (de l’analyse de politique internationale), la stabilité (de la politique étrangère) et la qualité (de la pratique diplomatique) est très significative, d’autant qu’elle est ici reliée par Jiang Fangwei à une notion additionnelle, celle de la cohésion interne du pays concerné (« domestic social status »), qui représenterait l’autre élément essentiel pour mesurer une crédibilité internationale.
L’article n’est pas une hagiographie naïve de la diplomatie ou de la stratégie chinoise : l’auteur ose une certaine critique de cette dernière, en reconnaissant que Pékin ne parvient pas toujours à rassurer ses partenaires sur ses intentions (surtout lorsque lesdits partenaires sont aussi des voisins de la RPC…). Il se fait ainsi l’avocat d’une interprétation de la crédibilité stratégique qui ne soit pas seulement militaire : plus « ouverte » ou multicritères (en particulier via la prise en compte d’un meilleur équilibre entre action sécuritaire externe et cohésion sociale interne), cette crédibilité stratégique rénovée équilibrerait la part respective des concepts de prestige international et de crédibilité internationale, ce qui permettrait, à un niveau catalysant ces trois notions, d’optimiser efficacement la réputation du pays considéré. Jiang Fangwei, qui propose une modélisation intéressante de cette articulation (voir schéma), juge que, « […] dans les milieux académiques occidentaux des Relations internationales, il existe peu de documents qui explorent la relation entre ces concepts (2) ».
Aussi (modérément) critique soit-elle, cette étude esquisse tout de même – et avec une certaine habileté – le portrait d’une politique internationale chinoise stable, débouchant sur une politique étrangère prévisible, via une diplomatie authentiquement multilatérale, qui s’appuie sur l’image d’une nation homogène. Une position contrastant avec la peinture en creux d’une politique étrangère américaine (et plus largement occidentale) qui souffrirait d’un manque de crédibilité précisément dû à des embardées stratégiques brutales, à des partenariats diplomatiques à géométrie variable et à un usage excessif de la force depuis la fin de la guerre froide, le tout sur fond de polarisation interne grandissante des sociétés démocratiques libérales.