Après plus de 70 jours passés dans cette zone, plusieurs enseignements semblent se dessiner. Avant tout, les multiples moyens de communication et de positionnement dont disposent les navires de commerce pour assurer leur sécurité et optimiser leur trajet ainsi que les dispositifs de séparation du trafic et les routes recommandées les rendent prévisibles donc vulnérables à des attaques. L’utilisation de ces outils mérite d’être réévaluée en fonction du contexte sécuritaire des zones traversées. Néanmoins, les houthistes ont également réussi à retrouver des navires loin dans le golfe d’Aden, malgré la mise en silence de tous leurs moyens de communication. Cette performance peut laisser supposer l’appui de puissances étrangères ayant des moyens importants. À ce titre, l’annonce par le média d’État russe RIA Novosti d’un essai de missile balistique hypersonique houthiste, le 15 mars 2024, soulève des interrogations.
Quels équilibres régionaux ?
La part géopolitique dans laquelle s’inscrivent les actions de déstabilisation des houthistes constitue le dernier enseignement de cette mission. En 2008, au déclenchement des opérations de lutte contre la piraterie, les conséquences économiques d’un ralentissement du trafic maritime dans la région avaient suffi à obtenir un large consensus et une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies autorisant les bâtiments de guerre à opérer dans les eaux territoriales somaliennes. Malgré une baisse de plus de 60 % du trafic maritime empruntant le canal de Suez, impactant l’économie régionale, une augmentation durable du coût du transport maritime et un isolement des nations de la mer Rouge, aucun consensus n’a été trouvé pour déclencher une opération internationale encadrée par une résolution onusienne. L’Égypte, pourtant touchée directement par cette crise, n’engage aucun moyen militaire. La Chine, qui a fortement investi dans ce pays, et pour qui le transport maritime est d’importance vitale, n’a pas condamné l’intervention des houthistes, préférant critiquer l’action « déstabilisatrice » américaine. Enfin, les monarchies du Golfe limitent les missions militaires conduites depuis leur sol. Cette prudence montre la complexité des équilibres régionaux dépassant les seuls intérêts économiques.
La participation de l’Alsace aux opérations en mer Rouge met en lumière plusieurs tendances qui se combinent. D’abord, l’élévation du niveau de violence en mer, où les groupes armés et les pays n’hésitent plus à faire usage de la force, y compris contre des navires de combat occidentaux. Ensuite, la remise en cause généralisée de la liberté de navigation, menaçant le modèle économique de la mondialisation fondé pour une part très importante sur la maritimisation. En contribuant à la sûreté maritime de la région de la mer Rouge, l’action de Marine nationale française s’inscrit au niveau stratégique.
Notes
(1) AIS est l’acronyme d’« Automatic Identification System » ; il s’agit d’une balise qui transmet en permanence les positions et la vitesse des navires, ainsi que leur identité et leur destination par VHF.
(2) Maritime Information Cooperation and Awareness Center : centre créé en 2016 pour favoriser l’échange d’informations et la coopération afin de faire face aux menaces au sein du monde maritime.
Légende de la photo en première page : L’Alsace escorte un porte-conteneurs en mer Rouge, en mars 2024. © MT Bailly/Marine nationale