Depuis les attaques du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, la frontière avec le Liban est en alerte. Des deux côtés, des dizaines de milliers de civils sont déplacés, tandis que l’armée israélienne et le Hezbollah s’affrontent à coup de roquettes, sans pour autant entrer dans un conflit ouvert. Car, pour le « Parti de Dieu », les enjeux sont énormes : soutenir les frères palestiniens tout en maintenant debout un État libanais en déliquescence.
Au lendemain du 7 octobre 2023, le Moyen-Orient – et la communauté internationale – attendait avec impatience la réaction officielle de Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah. Le 3 novembre, dans une allocution télévisée, il soutient le Hamas et menace Israël, mais ne s’engage pas dans une guerre totale. Car le mouvement n’est pas une simple milice ou un groupe islamiste. Il est une organisation clé du fonctionnement institutionnel du Liban, pays en pleine faillite économique et politique qui ne se relèverait pas d’un conflit direct avec Israël, et Hassan Nasrallah en est conscient.
Un mouvement multiforme
Alors que le Liban est en pleine guerre civile (1975-1990) et que l’Iran se bat contre l’Irak (1980-1988), la « Résistance islamique » apparaît en juin 1982 (officiellement trois ans plus tard). Le Sud du pays vient d’être envahi par l’armée israélienne, une présence qui dure jusqu’en 2000, tandis que ses premières incursions, dès 1978, avaient donné lieu au déploiement d’une force des Nations unies, la FINUL, encore active de nos jours. Le ton est donné : pour le mouvement, il s’agit de repousser l’ennemi israélien et de combattre l’occupation, sans négocier. Il s’appuie sur un allié de taille : la République islamique d’Iran, avec qui il partage l’idéologie religieuse du chiisme duodécimain et dont il obtient l’appui financier (jusqu’à 200 millions de dollars par an selon les périodes) et militaire avec les Gardiens de la révolution (pasdaran). Cet engagement vaudra une grande aura populaire au Hezbollah, seul à faire face aux soldats israéliens, comme en juillet-août 2006, et donc à soutenir par les armes la cause palestinienne, pendant que la plupart des États arabes ont soit abandonné, soit signé la paix avec Tel-Aviv.
À cette branche militaire, le mouvement ajoute un volet « civil », développant une organisation structurée capable d’offrir un soutien aux familles des martyrs et aux blessés de guerre, mais aussi un accès à la santé et à l’éducation en général, alors que l’État central est défaillant. Si le Hezbollah se présente comme chiite, religion d’environ un tiers des 5,2 millions de Libanais (2023), il séduit des sunnites et des chrétiens. Il arrive ainsi à faire corps avec la société tout en assurant les ressources nécessaires à la mobilisation et à la communication de sa branche armée. Logiquement, le Hezbollah s’insère dans le jeu politique national avec des députés – les premiers élus entrent au Parlement en 1992 et ils sont actuellement 13 sur 128 – et des ministres à partir de 2005, quand il s’allie avec d’autres formations au sein de l’Alliance du 8-Mars.
Une stratégie de la patience mise à l’épreuve
Hassan Nasrallah n’était pas au courant de l’attaque du 7 octobre 2023 ; c’est un choc, y compris pour les services de renseignement israéliens, qui s’attendaient plus à une telle action dans le nord du pays organisée par le Hezbollah. Son dirigeant affirme avoir derrière lui quelque 100 000 hommes entraînés, soit 40 000 de plus que l’armée libanaise, avec à leur disposition 130 000 roquettes et missiles. S’il est impossible de vérifier ces données, elles révèlent la force de dissuasion et de mobilisation du « Parti de Dieu ». Alors que le Liban n’a plus de président depuis octobre 2022 et que le gouvernement dirigé par Najib Mikati, désigné en juin 2022, cumule les dissensions internes, le Hezbollah semble être la seule force stable d’un pays en plein marasme économique (pauvreté, chômage, inflation…). En d’autres termes : Hassan Nasrallah apparaît tel un chef d’État seul capable de décider de la guerre au nom de la nation.
À la tête du Hezbollah depuis 1992 – un exploit quand on sait que l’organisation est classée terroriste par les États-Unis et l’Union européenne (UE) et que ses membres sont visés par des attaques israéliennes –, Hassan Nasrallah joue la carte de la patience. Compromis dans plusieurs actions à travers le monde, dont l’engagement aux côtés de Bachar al-Assad en Syrie, le « Parti de Dieu » a opté pour une escalade mesurée face à Israël. Les affrontements à coup de projectiles et d’escarmouches sont nombreux, profonds dans le territoire libanais, mais n’indiquent pas une guerre ouverte entre les deux camps. Aucun d’eux n’en aurait les moyens matériels et financiers ni la force politique. L’heure est à Gaza. Et l’embrasement régional n’est souhaité ni par l’Iran ni par l’Arabie saoudite, dont les visions hégémoniques respectives obligent à un appel au calme. Fragilisé en interne, Téhéran se complaît dans cet « axe de la résistance » formé par des mouvements plus ou moins autonomes – le Hamas, les milices irakiennes, les houthistes au Yémen, le Hezbollah. La République islamique a pourtant répondu par le feu, le 13 avril 2024, aux attaques israéliennes…
Que se passera-t-il si elle se lance dans une guerre ouverte, tombe ou change de nature après la disparition d’Ali Khamenei (au pouvoir depuis 1989, il est né en 1939) ? Car le sort du Hezbollah est plus lié à l’Iran qu’à la Palestine ; et le sort du Liban dépend de celui du Hezbollah.

