Combien la guerre à Gaza va-t-elle coûter ? Rien que pour Israël, la somme de 50 milliards de dollars, soit 10 % du PIB du pays, était évoquée dès novembre 2023. En mai 2024, l’ONU estimait qu’il faudrait près de 40 milliards pour reconstruire le territoire palestinien. Pour toute la région, la crise sera longue, dans un contexte mondial morose.
Les chiffres issus des Nations unies donnent une idée de l’ampleur de la tragédie en cours et à venir à Gaza. Entre octobre 2023 et mai 2024, près de 35 000 personnes sont mortes et 78 000 autres ont été blessées ; plus de 137 000 bâtiments sont détruits, essentiellement des habitats, soit 55 % de ce qui existait à la veille de la guerre ; 37 millions de tonnes de décombres s’accumulent sur des terres infertiles… En Israël, les économistes alertent sur la baisse attendue des investissements étrangers et du taux de croissance, voire une récession, tandis que le marché de l’emploi subit le choc des départs d’Israéliens partis se battre et de Palestiniens de Cisjordanie auxquels il est interdit de travailler. Et les dépenses militaires alourdissent la dette publique, estimée à 67 % du PIB en 2024, contre 60 % en 2022.
C’est précisément le piège de la dette qu’il faut surveiller non seulement pour Israël, mais aussi pour tout le Maghreb et le Machrek, alerte la Banque mondiale (1). Car, dans un contexte déjà difficile pour les économies mondiale et régionale, le conflit ouvre une période d’incertitudes tant les tensions sont fortes. Le « boom » post-Covid-19 et guerre en Ukraine est terminé pour les monarchies du Golfe, qui avaient pu compter sur une flambée des cours du pétrole. Et les écarts entre pays arabes riches et pauvres s’atténuent ; en 2024, le Moyen-Orient devrait avoir un taux de croissance de 2,7 %, certes plus ou moins égal à la moyenne mondiale (2,4 %), mais en dessous de ceux des autres États émergents et en développement (3,9 %).
Déjà sous blocus, la bande de Gaza voit sa situation sombrer, tous les secteurs d’activité étant à l’arrêt, tandis que la pauvreté touche la quasi-totalité des 2,3 millions d’habitants (dont 1,7 million de déplacés). Les tensions maritimes en mer Rouge, alimentées par les attaques des houthistes yéménites, ont eu des effets sur le commerce maritime, le canal de Suez étant l’un des principaux passages de la mondialisation. En difficulté, l’Égypte voit sa dette publique frôler 100 % et s’attend à une baisse de revenus, le tourisme et Suez étant ses premières ressources financières (respectivement 13,6 milliards et 8,8 milliards de dollars pour l’année fiscale 2022/2023). Le Caire mise sur les aides du Golfe, notamment de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Or ces monarchies doivent également surveiller leurs comptes, tandis que la situation n’est guère meilleure chez les importateurs de pétrole. Ils n’ont pas su profiter de la croissance et de l’inflation pour baisser le poids de la dette. On pense à la Tunisie, un pays aux nombreuses défaillances structurelles, qui a failli entrer en récession en 2023.
La guerre à Gaza marquera durablement les économies du Maghreb et du Machrek, d’autant que ni Israël ni le Hamas ne cède aux appels d’un cessez-le-feu. G. Fourmont
Note
(1) Banque mondiale, Conflit et dette dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, avril 2024.
