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Les flottes paramilitaires, facteur de liberté d’action

Brunei ne dispose pas de garde-­côtes : c’est essentiellement sa petite marine qui assure cette fonction avec quatre patrouilleurs hauturiers de classe Darussalam dotés de missiles Exocet, quatre patrouilleurs de 41 m, deux patrouilleurs ex-singapouriens de classe Fearless dotés de torpilles et deux patrouilleurs côtiers faiblement armés. Le pays, qui a développé des relations économiques avec la Chine, maintient une attitude de «revendicateur silencieux» à l’égard de quelques îlots en mer de Chine méridionale et a mené quelques exercices avec les États-Unis, tout en restant membre de l’ASEAN.

Si les garde-côtes singapouriens sont essentiellement dotés de petites unités pour des missions de police maritime dans les îles de la cité-­État et de protection du port, la Malaisie dispose d’une Maritime enforcement agency qui bénéficie d’une aide notable de la part du Japon. Ce dernier lui a ainsi fait don de deux patrouilleurs garde-­côtes de 92 et 87 m, et les garde-­côtes américains ont transféré un patrouilleur de 65 m. Le pays construit de son côté trois patrouilleurs Tun Fatimah de 1890 t.p.c. et 83 m et deux patrouilleurs de 75 m sont passés de la marine à la garde côtière. S’y ajoutent 67 patrouilleurs de 20 à 45 m de longueur et plus de 250 vedettes et autres plus petites embarcations, ainsi que quelques drones et hélicoptères. Les missions premières de la garde côtière malaisienne sont liées à la lutte contre la piraterie et les trafics, et la surveillance des pêches. Il en est de même pour la Sea and Coast Guard indonésienne, qui compte sept unités de 60 m, 15 unités de 40 m et plus de 370 autres, plus petites.

Enfin, l’US Coast Guard (USCG) est également un acteur majeur en mer de Chine méridionale, et ailleurs. Sa posture opérationnelle la fait ainsi se déployer à une échelle mondiale, avec une politique dynamique d’exercices et de formations. En l’occurrence, la rivalité avec Pékin n’est pas uniquement liée à la mer de Chine méridionale, puisque l’USCG surveille notamment les transits chinois vers le détroit de Béring – sachant que Pékin déploie de plus en plus ouvertement une stratégie arctique. Publiée en octobre 2024, son Operational posture 2024 fait de l’Indo-Pacifique une priorité : d’une part, au regard de ses missions au profit de Guam, de l’Alaska, d’Hawaii ou encore des États librement associés aux États-Unis et, d’autre part, au regard de l’appui aux gardes côtières amies. Elle est en outre engagée dans la protection des ressources halieutiques face aux politiques prédatrices – dont la Chine est coutumière.

Ses moyens sont importants, avec plus de 45500 personnels d’active, plus de 7000 réservistes et un programme de modernisation dynamique, largement hérité du programme Deepwater, après plusieurs décennies ayant vu le vieillissement de ses capacités. Ainsi, aux 11 cutters océaniques de classe Bertholf (Legend), il faudra ajouter jusqu’à 25 cutters de patrouille hauturière de classe Argus (Heritage) de 4500 t.p.c., jusqu’à 70 fast response cutters de classe Bernard C. Webber (Sentinel) de 359t.p.c. pour 46 m et une série de bâtiments spécialisés, en plus de trois futurs brise-­glaces remplaçant deux bâtiments plus anciens et plus de 1400 unités de moins de 20 m. L’USCG dispose également de capacités aériennes non négligeables, avec une petite trentaine de HC‑130 de recherche et sauvetage, qui peuvent aussi mener des missions de surveillance, 18 HC‑144 (variante de surveillance maritime du CN‑235) et plus de 140 hélicoptères.

Comparativement à la guerre froide, l’armement des plus grandes unités ne comprend plus que des canons de 57 mm et n’inclut plus la possibilité d’installer des RGM‑84 Harpoon, comme sur les bâtiments de la classe Hamilton. La Navy a cependant expérimenté l’embarquement de MH‑60R sur un cutter de classe Bertholf durant l’exercice «RIMPAC 2022». La stratégie poursuivie par Washington reste par ailleurs celle d’une coopération étroite entre les services au profit des opérations navales, et de la liberté de navigation, ce qui a amené les garde-­côtes à effectuer plusieurs transits à travers le détroit de Taïwan. Dans pareil cadre, on peut s’interroger sur la conversion des Bertholf en frégates à proprement parler. Plus fiables que les LCS, ces bâtiments peuvent embarquer deux hélicoptères de la classe 10 t et leurs systèmes de capteurs (incluant un radar TRS‑3D) et de brouilleurs ainsi que l’espace disponible à bord en font des bâtiments potentiellement supérieurs aux corvettes de la Navy. À certains égards, c’est également le cas pour les futurs Argus.

In fine, quelque soit l’armement choisi, on ne peut extraire l’action des garde-­côtes d’un cadre stratégique plus large, où leurs fonctions, en particulier en Asie, sont loin de se limiter à «l’action de l’État en mer», où priment les missions de police. Au contraire, leurs missions s’insèrent dans un cadre plus large d’assertion ou de dispute des souverainetés, permettant d’éviter l’escalade tout en jouant un rôle évident dans les stratégies déclaratoires des acteurs. En sachant également qu’en temps de guerre, leurs fonctions opérationnelles, en matière de surveillance et de protection, importeraient également… 

Légende de la photo en première page : Un bâtiment chinois naviguant dans les eaux territoriales autour des Senkaku/Diaoyu. Pékin y opère quasi quotidiennement, jouant d’une logique de fait accompli. (© Igor Grochev/Shutterstock)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°100, « Indo-Pacifique : face à la Chine, quelles stratégies ? », Février-Mars 2025.
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