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Le Qatar et l’Iran face au blocus : une entente conjoncturelle

Au-delà des éléments politiques, le rapprochement irano-qatari est marqué par l’augmentation des échanges entre les deux pays depuis la mise au ban de l’émirat par ses voisins en juin 2017. Mais l’Iran représente-t-il pour autant une solution durable pour que le Qatar parvienne à contourner les sanctions de ses anciens partenaires du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ?

Le rapprochement irano-qatari a été symbolisé sur le plan politique par le plein rétablissement des relations diplomatiques entre Doha et Téhéran au mois d’août 2017. La portée de cet événement diplomatique est d’autant plus grande que la première des 13 demandes adressées au Qatar par le quartet composé de l’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Égypte et les Émirats arabes unis était la rupture de tout lien avec l’Iran. En effet, lors de la crise du Golfe de juin 2017, la question des relations irano-qataries a été l’un des éléments avancés par ces quatre pays pour justifier leur manque de confiance envers le régime des Al-Thani.

Hausse des échanges économiques

Ce boycott a néanmoins eu des conséquences opposées à l’effet escompté puisque les relations commerciales irano-qataries ainsi que la proximité politique entre les deux pays n’ont fait que s’intensifier depuis le début de la crise. Les produits alimentaires iraniens et turcs ont envahi les étals des magasins qataris, se substituant à ceux des voisins. Les exportations non pétrolières iraniennes vers le Qatar se sont par exemple accrues de 100 % au lendemain de l’instauration de l’embargo en juin 2017. Elles ont ainsi atteint 250 millions de dollars pour la période mars 2017-mars 2018. Une Chambre de commerce conjointe irano-qatarie a été mise en place et les liens bancaires se sont renforcés à partir de la fin de l’année 2017.

De même, les routes commerciales passant par l’Iran tout comme l’espace aérien iranien ont dû être de plus en plus utilisés par le Qatar en raison des restrictions imposées par le quartet. Enfin, la coopération maritime et portuaire ainsi que des projets de développement conjoint du champ gazier offshore partagé, appelé North Dome au Qatar et South Pars en Iran, ont été évoqués. Les échanges d’étudiants se sont également accrus sous l’impulsion d’une volonté politique de faciliter l’octroi de visas pour les ressortissants des deux pays.

Pour autant, la carte iranienne n’est pas la seule jouée par le Qatar, car c’est bien grâce à son alliance militaire avec les États-Unis – l’émirat accueille la plus grande base américaine à l’étranger, à Al-Udeid, avec quelque 11 000 hommes, pour un contrat allant jusqu’à 2023 – que Doha est en mesure de résister aux pressions du quartet. Cette double stratégie de rapprochement avec l’Iran et de renforcement du lien avec les États-Unis est cependant difficile à appliquer dans un contexte de hausse des tensions entre Téhéran et Washington. Selon la perception américaine, cette crise interne au CCG doit être surmontée, car elle profite à la République islamique et contredit les projets américains de refoulement de l’influence régionale iranienne. En conséquence, le Qatar fait preuve de prudence face à la volonté de l’Iran d’utiliser l’émirat comme une voie de contournement des sanctions unilatérales américaines restaurées en août 2018 par le président Donald Trump (depuis 2017) après le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire du 14 juillet 2015.

L’importance de l’allié américain

Cette stratégie iranienne vise notamment à transférer des activités commerciales et financières jusqu’alors établies à Dubaï vers le Qatar. Ce mouvement s’est intensifié après l’accroissement des tensions irano-émiraties dans les domaines financier et commercial depuis janvier 2018. Cela est un élément essentiel de la stratégie iranienne de contournement des sanctions américaines, qui se retrouve également dans la politique omanaise de Téhéran. Le risque étant pour le Qatar comme pour le sultanat d’Oman d’être en porte-à-faux avec leur allié américain, qui a fait de l’endiguement économique de la République islamique un élément central de sa stratégie régionale. Au-delà du facteur américain, ce rapprochement irano-qatari est également limité par les questions géopolitiques : les deux pays s’opposent sur la situation syrienne depuis 2011, Doha ne soutenant pas Bachar al-Assad (depuis 2000), tandis que la chaîne qatarie Al-Jazeera propose une lecture critique à la fois de la politique régionale de Téhéran et des mouvements sociaux de contestation du régime du Guide suprême Ali ­Khamenei (depuis 1989) et du président Hassan Rohani (depuis 2013).

La capacité du Qatar à contourner l’embargo du quartet par la voie iranienne apparaît plus comme un choix tactique. En effet, l’ancrage géographique du Qatar dans la péninsule Arabique et son alliance stratégique avec Washington sont deux freins à tout rapprochement structurel irano-qatari. L’Iran est certes indispensable dans la stratégie de survie du Qatar, notamment s’agissant des questions alimentaires et du blocus aérien, mais cette entente ne peut se substituer à une stratégie de long terme dominée par l’impérieuse nécessité de l’alliance avec les États-Unis. 

Cartographie de Laura Margueritte

Article paru dans la revue Carto n°50, « Migrants en Europe : lieux de détention, surveillance, expulsions… », novembre-décembre 2018.

À propos de l'auteur

Clément Therme

Chercheur post-doctorant pour le programme « Savoirs nucléaires » du CERI (Sciences Po Paris) et auteur de L’Iran et ses rivaux : entre nation et Révolution (Passés composés chez Humensis, 2020).

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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