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Inde-Pakistan, un conflit qui n’en finit pas

Le 26 février 2019, pour la première fois depuis 1971, l’armée de l’air indienne a bombardé le Pakistan. Le lendemain, Islamabad répondait en abattant un avion indien qui survolait son espace aérien. L’escalade a fait ressurgir le risque d’un conflit ouvert entre les deux frères ennemis du sous-continent et, avec lui, la crainte d’une déstabilisation complète de la région.

a destruction par l’armée indienne d’un camp terroriste aux mains du groupe islamiste pakistanais Jaish-e-Mohammed (JeM), près de la localité de Balakot, intervient 12 jours après une attaque-suicide au Cachemire revendiquée par le JeM. Alors que 40 paramilitaires indiens y ont laissé la vie, le gouvernement a choisi la riposte militaire, là où la voie diplomatique avait jusque-là été privilégiée. En 2001, lorsque ce même groupe avait mené une attaque contre le Parlement de New Delhi, l’Inde avait envoyé ses troupes à la frontière avec le Pakistan, sans jamais franchir la ligne de contrôle séparant les deux pays et sans y envoyer ses avions de combat. De même, en 2008, après la mort de 166 personnes à la suite d’un raid de 60 heures à travers Mumbai mené par le groupe islamiste pakistanais Lashkar-e-Taiba, l’Inde avait à nouveau renoncé à riposter militairement.

Enjeux intérieurs pour l’Inde

La réponse indienne du 26 février 2019 intervient moins de douze mois avant des élections cruciales dans le pays. L’Inde suit un système parlementaire dans lequel le Premier ministre est généralement le chef du parti jouissant d’une majorité à la Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement. Or, du 11 avril au 19 mai 2019, 900 millions d’électeurs ont été invités à voter pour renouveler cette Assemblée. Le Premier ministre, Narendra Modi (depuis 2014), qui a construit son image politique sur un discours de force et d’intransigeance, joue sa place. Son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP), qui a obtenu la majorité absolue des sièges au Parlement lors de l’élection de 2014, risque d’en perdre un nombre important du fait des graves difficultés économiques que connaît le pays.

Dans les milieux ruraux en particulier, ces problèmes se sont accrus après la démonétisation de 87 % des billets en circulation en novembre 2016. Si cette décision aussi brutale que soudaine a officiellement été prise pour lutter contre la corruption et l’évasion fiscale, l’économie indienne a été durement touchée alors que la majorité de la population ne paie qu’en liquide. Politiquement affaibli dans plusieurs États clés de l’Union indienne, Narendra Modi, figure du populisme nationaliste hindou, a donc choisi l’arme militaire pour asseoir son autorité et gagner l’adhésion du peuple après l’attentat du 14 février 2019.

Déséquilibre militaire

Avec 1,39 million de militaires en service en 2017, sans compter les paramilitaires (1,58 million), l’Inde détient la deuxième plus grande force humaine au monde derrière la Chine (2,03 millions). En 2018, le pays a dégagé 57,9 milliards de dollars pour le budget de la défense, soit 2,1 % de son PIB, le cinquième plus gros après celui des États-Unis (643,3 milliards), de la Chine (168,2 milliards), de l’Arabie saoudite (82,9 milliards) et de la Russie (63,1 milliards). Le Pakistan est loin de disposer de la même force. Pourtant, le pays investit davantage rapporté à son budget et à sa démographie. En 2018, le gouvernement pakistanais a alloué près de 11 milliards de dollars au budget de la défense, soit 3,6 % de son PIB, et quoique le pays soit sept fois moins peuplé que son voisin (197 millions d’habitants au Pakistan et 1,33 milliard en Inde en 2017), son armée de 653 800 militaires en service représente 50 % des effectifs indiens.

Les deux États disposent en outre de missiles balistiques capables de déployer des armes nucléaires. L’Inde possède neuf types de missiles opérationnels dont la portée s’étend de 150 à 5 000 kilomètres. Le programme balistique pakistanais a quant à lui été forgé avec l’aide de Pékin. Quoique le pays ait développé des missiles de longue portée, pour l’instant, son arsenal nucléaire ne permet que des frappes à courte distance. Depuis la déclaration d’indépendance du 15 août 1947 et la partition du sous-continent entre l’Inde, à majorité hindoue, et le Pakistan musulman, les tensions n’ont jamais cessé. Mais malgré trois guerres (octobre 1947-décembre 1948, août-septembre 1965 et décembre 1971), l’accession de l’Inde (1974) et du Pakistan (1998) à la capacité nucléaire a entraîné une dissuasion réciproque. Aucun des deux pays n’a intérêt à une confrontation directe. Pour autant, les risques d’escalade non maîtrisée, tout comme le mauvais contrôle politique sur les forces nucléaires, demeurent une menace réelle pour la sécurité des deux États et de la région.

Le Cachemire, à majorité musulmane, cristallise les antagonismes entre New Delhi et Islamabad, et constitue l’épicentre des tensions. Cette zone, l’une des plus militarisées au monde, est le théâtre principal du conflit entre les deux pays qui revendiquent leur souveraineté sur le territoire depuis 1947. Dans l’État indien du Jammu-et-Cachemire, les violences opposant les militaires et les insurgés cachemiris ont fait, depuis le début du conflit, au moins 70 000 morts et 8 000 disparus.

Cartographie de Laura Margueritte

<strong>Deux forces militaires face à face</strong>
<strong>Le différend au Cachemire</strong>
Article paru dans la revue Carto n°53, « Entre innovations et paradoxes : Demain, on mange quoi ? », mai-juin 2019.

À propos de l'auteur

Nashidil Rouiaï

Géographe spécialiste de la Chine et de Hong Kong, maître de conférences à l’Université de Bordeaux.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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