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La souveraineté criminelle de la Corée du Nord

Depuis les années 1970, la Corée du Nord mène des activités illicites dans le monde entier qui lui permettent d’obtenir des devises étrangères à travers notamment la prolifération d’armes de destruction massive, la contrefaçon de biens et de monnaie, le trafic de stupéfiants et d’ivoire, le cyberhacking et, plus récemment, la violation des sanctions onusiennes censées, entre autres, limiter tant les importations que les exportations du pays.

Qualifié d’État voyou ou d’État mafia, le concept de « souveraineté criminelle » pourrait être utilisé pour caractériser le régime nord-coréen, c’est-à-dire la conduite d’activités illicites sous le couvert de la souveraineté du pays et l’utilisation des outils à disposition de l’État pour perpétrer des agissements enfreignant le droit international ainsi que le droit national des pays dans lesquels ces activités sont menées (1). Les revenus obtenus par ces activités illicites permettent de financer les programmes d’armement du pays, dont les programmes nucléaire et balistique, d’améliorer le niveau de vie des diplomates basés à l’étranger et aussi de satisfaire les attentes de l’élite, ce qui contribue à garantir la survie du régime nord-coréen.

Une activité criminelle très diverse

Les activités illicites de la Corée du Nord continuent de se diversifier en s’adaptant à l’adoption successive de sanctions multilatérales et unilatérales. La Corée du Nord vend depuis plusieurs décennies des armes conventionnelles à des pays du Moyen-Orient, d’Asie du Sud-Est et d’Afrique, mais aussi des armes de destruction massive dont des missiles balistiques. Un embargo sur les armes à destination ou en provenance de Corée du Nord a été mis en place par les résolutions 1718 (2006) et 1874 (2009) du CSONU, complété par la résolution 2270 (2016) qui couvre également les armes légères. Selon le dernier rapport du panel des experts de l’ONU, le pays continue cependant de vendre des armes conventionnelles à de nombreux pays dont le Soudan, la République démocratique du Congo, l’Ouganda, la Syrie, la Tanzanie ou encore le Yémen (rebelles Houthis), et à fournir une coopération militaire sous forme d’expertise à l’Érythrée, l’Iran ou encore la Libye.

Le pays a également été impliqué dans la fabrication et la distribution de faux-billets, notamment des billets de 100 dollars américains parfois qualifiés de « super billets » du fait de leur grande qualité. Entre 1989 et 2010, les autorités américaines ont ainsi saisi plus de 60 millions de dollars de ces super-billets (2). Depuis les années 1990, le trafic de drogue, notamment de méthamphétamine, une drogue de synthèse, a également été une source de revenus avec des cas avérés en Turquie, en Égypte, à Taïwan ou encore au Japon (3). Notons aussi de multiples cas de trafic de cigarettes, notamment dans les pays scandinaves depuis les années 1970, de trafic d’ivoire et de cornes de rhinocéros en Afrique depuis les années 1980, ou encore de trafic de médicaments contrefaits et de DVD piratés (4).

Plus récemment, le régime nord-coréen a multiplié les cyberattaques à des fins criminelles, notamment en piratant les réseaux informatiques d’institutions financières (5). L’ensemble de ces activités est désigné par les autorités américaines sous le nom de code « Hidden Cobra », qui inclut des malwares aussi divers qu’ElectricFish (mai 2019), HopLight (avril 2019), KeyMarble (août 2018) ou TypeFrame (juin 2018). Parmi les attaques les plus documentées, celle de la Banque centrale du Bangladesh en février 2016 qui a permis de voler plus de 80 millions de dollars ou encore celles du Groupe Lazarus qui a mené des attaques dans 18 pays depuis 2009, dont celle sur le système national de santé britannique en mai 2017. Ces activités sont principalement menées de l’étranger.

Enfin, il convient de mentionner les nombreuses violations des sanctions onusiennes interdisant à la Corée du Nord d’exporter du charbon et limitant ses importations de pétrole brut et raffiné. Le pays multiplie ainsi les transbordements illicites de charbon et de pétrole raffiné entre navires. Pour la seule année 2018, les ports nord-coréens ont reçu au moins 263 livraisons de navires transportant du pétrole raffiné. Si ces pétroliers étaient à pleine charge, la Corée du Nord aurait importé sept fois et demi la quantité autorisée par la résolution 2397 (2017) du CSONU.

Pyongyang à la manœuvre ?

Ces activités illicites soulignent l’ingéniosité et la résilience des réseaux nord-coréens à l’étranger pour exploiter le marché international et assurer des revenus au régime. Les acteurs de ces activités illicites sont multiples. Certaines activités sont soumises à un contrôle central ; d’autres sont probablement menées par des entités étatiques mais sans direction des autorités centrales ; certaines peuvent être organisées par des bandes étrangères, dont chinoises, avec le consentement des autorités nord-coréennes, etc (6).

Un acteur institutionnel clé est le Bureau 39, une branche du Bureau général de reconnaissance, l’institution principale du Parti des travailleurs de Corée en charge du renseignement. Créé à la fin des années 1970, le Bureau 39 a recours à de nombreuses entreprises officiellement opérant dans l’import-export et les services financiers afin de mener des activités illicites dans le monde entier. Ces entreprises sont régulièrement sanctionnées, à l’instar de Green Pine Association en charge de ventes d’armes conventionnelles, Mansudae Overseas Project Group of Companies qui gère la construction de monuments ou de statues, ou encore Korea Daesong General Trading Corporation, etc.

Parmi les acteurs individuels, les diplomates nord-coréens jouent un rôle central en abusant des conventions diplomatiques. Ceux-ci font entrer ou sortir de pays étrangers des biens contrefaits ou issus de trafic, ouvrent et gèrent des comptes à l’étranger, y compris dans des pays auprès desquels ils ne sont pas accrédités, pour y mener des activités commerciales illicites à leur profit et au profit du régime. Depuis 2016, des diplomates nord-coréens ont été directement sanctionnés, comme l’ambassadeur nord-coréen en Égypte. Cependant, la nomination de Han Tae-song comme ambassadeur auprès de l’ONU à Genève, alors qu’il avait été expulsé du Zimbabwe en 1992 pour une affaire de trafic d’ivoire, montre la limite de ces sanctions.

Un régime dépendant financièrement de ses activités illicites

Avec l’accroissement sans précédent des sanctions multilatérales depuis 2016, notamment en matière de commerce international, le régime est de plus en plus tributaire de ces activités illicites afin de se financer. Ces réseaux sont devenus indispensables, ce qui accroît d’autant la vulnérabilité du régime à des sanctions financières ciblées. En septembre 2005 déjà, le gel des avoirs nord-coréens au sein de la banque Delta Asia à Macau avait eu des répercussions importantes. Désormais, ces réseaux apparaissent comme encore plus centralisés, limités et vulnérables, ce qui renforce l’argument selon lequel une politique de sanctions ciblées pourrait avoir un impact fort (7). Or, une implication forte de la Chine, dont des ressortissants et des entreprises jouent un rôle clé dans ces réseaux illicites, notamment à la frontière, est indispensable mais peu probable, limitant de fait l’impact de ces sanctions.

Notes
(1) Paul Kan, Bruce Bechtol and Robert Collins, Criminal sovereignty : understanding North Korea’s illicit international activities, Strategic Studies Institute, 2010 ; Bruce Bechtol, « North Korean Illicit Activities and Sanctions : A National Security Dilemma », Cornell International Law Journal, 2018, Vol. 51.
(2) « Fact Sheet : New Executive Order Targeting Proliferation and Other Illicit Activities Related to North Korea », US Department of Treasury, 30 août 2010.
(3) Yong-an Zhang, « Drug Trafficking from North Korea : Implications for Chinese Policy », The Brookings Institute, décembre 2010.
(4) Julian Rademeyer, « Diplomats and Deceit : North Korea’s Criminal Activities in Africa », The Global Initiative Against Transnational Organized Crime, septembre 2017.
(5) « The Forex Effect : US Dollars, Overseas Networks, and Illicit North Korean Finance », C4ADS and Sejong Institute, décembre 2017.
(6) Marcus Noland, « North Korean Illicit Activities », Peterson Institute for International Economics, 11 mars 2013.
(7) David Thompson, « Risky business : A system-level analysis of the North Korean proliferation financing system », C4ADS, 2017.

Légende de la photo en première page : en octobre 2018, la société américaine de cyberdéfense FireEye publiait un rapport révélant l’existence d’une unité de hackers d’élite nord-coréens, baptisée APT38, soupçonnée d’être à l’origine d’une vague de cyberattaques contre des banques dans le monde entier. Cette équipe aurait réussi à voler jusqu’à un milliard de dollars aux banques ciblées. (© Shutterstock/BeeBright)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°52, « Géopolitique mondiale de la criminalité : mafias, narcotrafiquants, hackers », Août-Septembre 2019.
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