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Trente ans après la chute du mur, que reste-t-il de la RDA ?

Les élections régionales du 1er septembre 2019 en ex-République démocratique d’Allemagne (RDA) ont été marquées par une hausse de la participation et une forte poussée de l’extrême droite. Le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), fondé en 2013, triple son score en Saxe (27,5 % contre 9,7 %) et le double dans le Brandebourg (22,5 % contre 12,2 %) par rapport à 2014, devenant la première force d’opposition dans l’ancienne RDA et imposant ses thèmes dans le débat politique.

lors que l’on célèbre, en 2019, le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin le 9 novembre, qui a ouvert la voie à la réunification de l’Allemagne, le clivage entre les anciennes RDA et République fédérale allemande (RFA) a du mal à s’estomper totalement. Les stigmates de plus de quatre décennies de séparation (1949-1990) restent encore visibles au sein de la première puissance économique d’Europe et quatrième mondiale.

D’importants moyens, principalement financés par des hausses d’impôts directs et indirects, ont été engagés par le gouvernement allemand à partir de 1990 pour faciliter la réunification et permettre à l’Est de passer d’une économie administrée à une économie de marché concurrentielle. Une agence d’État, la Treuhandanstalt, chargée durant quatre ans (1990-1994) d’appuyer la transition et de privatiser les entreprises est-allemandes, a accompagné une modernisation de l’économie et une rapide hausse de la productivité, au prix de licenciements de masse, faisant fortement augmenter le chômage. Le coût de la réunification, difficile à estimer, serait de l’ordre de 2 000 milliards d’euros sur ces trente dernières années, en grande partie pour le financement des prestations sociales et de la modernisation des infrastructures, notamment routières et ferroviaires, dans le but géopolitique de recréer une unité territoriale et nationale allemande.

<strong>1 -Les changements territoriaux du territoire allemand au cours du XX<sup>e</sup> siècle</strong>

Une réunification inachevée ?

Le fossé entre l’Est et l’Ouest perdure pourtant dans un certain nombre de domaines. Si l’ensemble de l’Allemagne bénéficie d’un faible taux de chômage (4,9 % en mai 2019), en deçà de la moyenne des pays de la zone euro (7,5 %), celui-ci est supérieur à l’Est (6,3 % contre 4,6 % à l’Ouest). Pour la population active, le revenu moyen annuel par habitant est aussi largement inférieur à l’Est (29 477 euros contre 40 301 euros à l’Ouest). Des économistes allemands ont démontré que l’écart entre les deux régions en matière de rémunération, de productivité et de chômage ne se réduit plus et reste, depuis quelques années, stable à 20 % (1).

En 1991, la productivité de l’Allemagne de l’Est mesurée par le PIB ne représentait que 45 % de la valeur de l’Ouest. Elle y a augmenté plus rapidement que dans les Länder de l’Ouest jusqu’au milieu des années 2000, permettant une certaine convergence économique et un rattrapage du niveau de vie. En 2017, cette productivité à l’Est atteint 82 % de la moyenne de l’Ouest. Si l’on constate un écart de productivité croissant entre le Nord et le Sud de l’Allemagne, porté par les dynamiques Länder du Bade-Wurtemberg et de Bavière, celui-ci reste inférieur à l’écart Est-Ouest. L’une des raisons en est la faible implantation de sièges sociaux d’entreprises allemandes à l’Est – seulement 36 sur les 500 plus importantes – ainsi que la faible présence de grandes entreprises actives en recherche et développement.

Après la réunification, les services ont été le principal moteur de l’emploi en Allemagne, aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest. Mais contrairement à l’Ouest, cette croissance n’a toutefois pas été suffisante entre 1991 et 2005 pour compenser les baisses enregistrées dans les autres grands secteurs de l’économie dans la partie orientale, notamment l’industrie manufacturière, la construction et l’industrie ­agroalimentaire. Les difficultés à l’Est sont également liées au problème de la disponibilité de la main-d’œuvre. Entre 1989 et 2015, 5,2 millions d’Allemands de l’Est, y compris de Berlin, ont émigré à l’Ouest. Cette migration n’a été que partiellement compensée par les 3,3 millions d’entrées en provenance de l’Allemagne de l’Ouest. La perte nette due aux migrations internes s’est donc élevée à environ 1,9 million de personnes pour l’ex-RDA (dont 1 million en 1989-1992), qui a ainsi perdu près de 10 % de sa population en une quinzaine d’années au profit de l’Ouest, qui en a gagné 6 %, obligeant de nombreuses entreprises est-allemandes à recruter en Pologne ou en République tchèque pour compenser ces départs. Cette migration sortante est, depuis 2012, à l’équilibre avec la migration entrante, principalement en raison de l’amélioration de la situation du marché du travail dans l’Est. On y observe ainsi une croissance régulière du nombre d’actifs depuis 2006 et une baisse ­significative du sous-emploi.

Les prévisions démographiques de l’Office fédéral de la statistique allemande sont cependant assez pessimistes en matière de décroissance de la population en âge de travailler, en raison du faible taux de natalité (sous le seuil de renouvellement depuis les années 1970). Si celle-ci doit se réduire de moins d’un cinquième dans les Länder de l’Ouest d’ici à 2060, le déclin à l’Est devrait être deux fois plus important, rendant encore plus nécessaire l’afflux de travailleurs étrangers qualifiés pour l’atténuer.

<strong>2 - Écarts de richesse entre l’Est et l’Ouest de l’Allemagne</strong>

Le nouveau parti de l’Est ?

La difficile reconversion des régions industrielles et minières de l’Est et les disparités territoriales qui perdurent malgré la réunification nourrissent un sentiment de frustration au sein de la population est-allemande, s’appuyant sur les représentations de déclin, de déclassement et de « citoyens de seconde zone ». Le ressentiment à l’égard des partis traditionnels, l’Union démocrate-chrétienne (CDU) et le Parti social-démocrate (SPD), est ainsi beaucoup plus marqué à l’Est qu’à l’Ouest, au profit de mouvements représentant une possible alternative. Dès sa création, l’AfD, extrême droite antisystème, anti-euro et anti-immigration, a frôlé le score de 5 % aux législatives de 2013, pour finalement atteindre, deux ans après la crise migratoire, 12,6 % des voix en 2017 et obtenir près d’une centaine de députés au ­Bundestag, grâce à des scores élevés dans l’ex-RDA (21,6 % en moyenne).

<strong>L’Allemagne, encore marquée par la séparation</strong>

Ce succès s’explique par une droitisation du discours de l’AfD sur les questions identitaires, jouant sur la peur de l’étranger dans des régions qui en comptent relativement peu, ainsi que sur une volonté forte de répondre aux préoccupations sociales des habitants des zones les plus rurales et vieillissantes en matière de maintien des services publics, de développement d’infrastructures et de lutte contre la désertification, notamment médicale. Ce succès à l’Est ne doit pas masquer une progression de ce parti à l’échelle nationale.

Cartographie de Laura Margueritte

Note
(1) Leibniz-Institut für Wirtschaftsforschung Halle, Vereintes Land – drei Jahrzehnte nach dem Mauerfall, mars 2019.

Article paru dans la revue Carto n°56, « Plastique : L’autre « marée noire », novembre-décembre 2019.

À propos de l'auteur

Thibaut Courcelle

Maître de conférences en géographie à l’Institut national universitaire Champollion (Albi), analyste pour Carto.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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