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Paolo Thaon di Revel : le patrouilleur camouflé en frégate

En matière de construction navale, l’Italie n’a pas fini de nous surprendre, avec des logiques innovantes. C’était le cas sur la distinction entre les FREMM d’appui général et celles de lutte anti-sous-marine, mais ce l’est également avec une nouvelle génération de patrouilleurs lourds dont la tête de classe, le Paolo Thaon di Revel, a été lancée en juin 2019 et a entamé ses essais en novembre de la même année.

Le programme de PPA (Pattugliatore polivalente di altura, ou « patrouilleur polyvalent de haute mer »), lancé dans le cadre de la loi navale de 2014, a été mené tambour battant. Le contrat pour sept unités a ainsi été signé en mai 2015, sachant que trois autres sont en option, avec pour objectif une première entrée en service en 2021, suivie d’une autre chaque année, sauf en 2024 où il y en aura deux. Pour l’heure, les essais du Paolo Thaon di Revel se déroulent sans encombre – l’objectif d’une livraison à la Marina Militare en 2021 étant tenable – et quatre autres unités sont déjà sur cale. Les deux dernières commandes fermes doivent être mises sur cale en 2021 et 2022. In fine, les sept patrouilleurs de la tranche ferme seraient ainsi mis en service d’ici à août 2026 – un rythme qui tranche nettement avec ce qui se fait ailleurs en Europe. L’ambition n’est pourtant pas modeste. D’une part, il s’agit de remplacer les frégates de la classe Soldati (1), de même que les corvettes de classe Minerva, soit douze bâtiments au total, qui ont tous quitté le service. Le domaine d’emploi des navires est donc large, ce qui conduit la marine italienne à concevoir trois variantes sur la base d’une même carène et des mêmes superstructures : « Full », « Light Plus » et « Light », sachant que les unités les plus légères pourront être modernisées au standard le plus complet. D’autre part, les missions affectées à la classe débordent largement celles des frégates et corvettes remplacées. Au-delà des missions de patrouille, de combat naval et d’appui aux autorités, les « Plus » auront ainsi une mission de défense antimissile balistique. Concrètement, les sept unités commandées se répartissent en deux « Full », trois « Light Plus » et deux « Light ».

Conséquence logique d’un spectre capacitaire aussi large, les navires sont généreusement dimensionnés : 143 m de longueur, soit 30 m de plus que les Soldati et 1,6 m de moins qu’une Bergamini ( !) pour une largeur de 16,5 m et un tirant d’eau de 10,5 m. Le déplacement est également important : pour un PPA Full, il sera de 6 270 t.p.c. (2), contre 2 506 t.p.c. pour les Soldati… ce qui représente à peine 430 t.p.c. de moins qu’une FREMM Bergamini… Les Thaon di Revel seraient ainsi les patrouilleurs les plus lourds au monde – et de loin (3). La propulsion combine une turbine à gaz LM2500 de 43 000 ch, deux diesels MTU 20V8000 de 13 000 ch de puissance unitaire et deux moteurs électriques de 1 810 ch entraînant deux arbres à pas variable. S’y ajoutent des générateurs électriques et un propulseur d’étrave. À pleine puissance, les PPA Full doivent pouvoir dépasser 31 nœuds, une vitesse les rendant pertinents pour l’escorte d’un groupe aéronaval.

Un armement lourd

Les capacités de combat des navires relèvent également d’une classification supérieure à celle du patrouilleur. Les trois variantes sont ainsi dotées du canon Oto Melara 127 mm/64 Cal. apte à tirer les munitions guidées Vulcano jusqu’à plus de 100 km, la programmation se faisant à distance, au sein du système de chargement automatique. Les munitions classiques ont une portée plus réduite (30 km), mais peuvent être tirées durant un court laps de temps à 32 coups/min. À cette artillerie principale s’ajoute une artillerie secondaire, avec un Oto Melara 76 mm/62 Cal. Sovraponte, qui sera installé pour la première fois sur les Thaon di Revel. Positionné sur le hangar hélicoptère, c’est une version plus légère du 76 mm Super Rapid. Non pénétrant dans les structures, le canon dispose de 76 coups prêts au tir. Sa fonction première est de servir de système de protection antiaérienne/antimissile. Enfin, deux canons Oerlikon de 25 mm complètent l’artillerie de bord.

Seuls les deux « Plus » recevront d’origine huit missiles antinavires Teseo Mk2/E (Evolved), mais les deux autres variantes pourront en recevoir ultérieurement le même nombre, positions et câblages étant prêts. Le missile lui-même est la dernière évolution de l’Otomat, dont le développement a été lancé en 2018. Avec une portée supérieure à 350 km, il a une capacité d’attaque secondaire de cibles terrestres, grâce à un système de guidage couplant liaison de données bidirectionnelle, radar, imageur infrarouge et système INS/GPS. Le missile n’est donc plus dépendant d’un ciblage à mi-course par un hélicoptère. Seuls les PPA « Full » reçoivent deux triples tubes lance-torpilles de 324 mm pour des Black Arrow. Les deux autres variantes aussi pourront en être équipées.

Les PPA « Full » et « Light Plus » sont également dotés de 16 cellules de lancement verticales SYLVER A70 – les PPA « Light » étant, là aussi, « fitted for but not with ». Concrètement, les bâtiments pourront donc tirer des missiles antiaériens Aster‑15 et Aster‑30, ainsi que la version antimissile balistique de ce dernier, l’Aster-­Block 1NT, dont le développement se poursuit en vue d’une entrée en service en France d’ici à 2022. On note que l’attention portée à la défense antibalistique par l’Italie pourrait la conduire à intégrer le Block 2 du missile, apte à intercepter des missiles balistiques d’une portée de 3 000 km (contre environ 1 500 km pour le Block 1NT), sachant que le Block 2 sera compatible avec les lanceurs A70. Pour des menaces aériennes à plus courte portée, l’installation de missiles CAMM-ER est également évoquée en remplacement des Aster‑15. Deux CAMM-ER peuvent être positionnés dans chaque cellule, ce qui porterait donc la salve à 32 missiles.

Toutes les variantes sont dotées d’un large pont hélicoptère, de 25,5 m sur 16,5 m, et d’un hangar ayant lui aussi des dimensions généreuses. Pratiquement, les navires pourront ainsi embarquer deux NH90 ou un AW101 Merlin, plus lourd. L’embarquement de drones aériens est également évoqué et la drôme comprend un RHIB de 11 m lancé depuis une rampe à la poupe et deux RHIB de 15 m mis à l’eau grâce à des bossoirs. On note de plus que l’espace sous le pont hélicoptère est utilisable pour l’embarquement de conteneurs ISO 1C, cinq pouvant y trouver place. L’espace entre les superstructures peut en accueillir huit autres, de même qu’une grue adaptée à leur manutention. Les bâtiments disposent ainsi d’une certaine plasticité, par exemple en embarquant des modules médicaux.

Une suite de capteurs fournie

La suite de capteurs embarquée sur les navires est également impressionnante. Ils sont reliés au système de commandement intégré SADOC Mk4, avec 28 consoles (20 sur les PPA « Light »). Le principal capteur est le radar à faces planes Leonardo AESA 3D en bandes C et X (bande C uniquement pour les « Light Plus » et bande X pour les « Light »). Le développement du système se poursuit, notamment au travers d’un banc d’essai grandeur nature installé sur la base aérienne de Pratica di Mare, et de premiers essais concluants pour la bande X qui équipera la tête de classe. Le radar est polyvalent et pourra assurer des fonctions de guidage pour les Aster. S’y ajoute, pour toutes les variantes, un radar de veille air/surface Leonardo SPS‑732 à faible probabilité d’interception. Sa portée en mode « au-delà de l’horizon » est de 185 km. Il dispose également d’un mode de désignation d’armement ayant une portée allant jusqu’à 25 km. Il faut y ajouter deux radars de navigation et une veille optronique.

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