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Spatial militaire chinois : la densification capacitaire

Les capacités spatiales chinoises sont en plein essor, dans tous les domaines d’intérêt militaire. Puissance de premier rang, la Chine peut s’appuyer sur une solide base industrielle, accolée à plusieurs centres de recherche. Avec la mise en place de la Force de soutien stratégique (FSS) (1), elle dispose d’une véritable structure optimisant les ressources comme les capacités. Mais pour quel objectif ?

À la fin des années 1990, l’ouvrage Chinese Views of Future Warfare reprenait plusieurs articles d’officiers supérieurs et généraux chinois sur une série de thématiques liées à leur perception de la « guerre du futur » (2). Si aucun chapitre n’était consacré au spatial militaire, le terme « satellite » était cité à 60 reprises et le terme « espace » (au sens d’exoatmosphérique), à 46 reprises. Pratiquement tous les chapitres liés à la conduite des opérations futures accordaient une place importante à l’espace, y compris celui sur la conduite des opérations navales, au point d’affirmer que les attaques sur les zones de bataille navale proviendront de l’espace tandis que les navires devront être capables de frapper des satellites. De même, la supériorité aérienne était présentée comme le fruit du contrôle de l’espace.

Il n’est alors pas uniquement question d’utiliser l’espace en appui des opérations dans d’autres milieux. Un auteur évoque ainsi le «  combat spatial » en des termes de science-­fiction : « Les armes […] suivantes apparaîtront en flux continu – toutes ces armes feront de l’espace extra-atmosphérique la cinquième dimension de l’espace opérationnel après la terre, la mer, l’air et l’électromagnétisme : armes laser, armes à ultrahaute fréquence, armes à ondes ultrasoniques, armes furtives, armes à faisceau miroir, armes électromagnétiques, armes à plasma, armes écologiques, armes intelligentes, armes logiques et armes soniques. (3) » Évidemment, la période, marquée par la révolution dans les affaires militaires, est propice aux envolées techno-folkloriques, mais le positionnement des différents officiers montre clairement qu’ils n’ont intellectuellement, juridiquement ou stratégiquement aucun tabou.

La réalité capacitaire chinoise contemporaine est plus classique et moins grandiloquente (4). Le développement chinois n’en est pas moins impressionnant. D’une part, l’espace a officiellement été désigné en 2015, un peu avant la mise en place de la FSS et de son département spatial, comme un domaine d’opérations militaires. D’autre part, la densification capacitaire est bien là, dans un contexte où les domaines civil et militaire se confondent. En 2020, la Chine a procédé à 39 lancements spatiaux (34 en 2019), ce qui l’a placée en deuxième position derrière les États-Unis (44 lancements en 2020). Elle a également tiré pour la première fois deux nouveaux types de lanceurs, Longue Marche‑5B et Longue Marche‑8. Galactic Energy, le deuxième opérateur privé chinois à disposer de son propre lanceur, a effectué le premier tir d’une Ceres‑1.

Capacités satellitaires

La Chine a complété sa constellation de géonavigation Beidou‑3 le 23 juin. Comparativement à Beidou‑1 et à Beidou‑2, la couverture est cette fois mondiale et non plus seulement régionale. Le système compte à présent une trentaine de satellites en orbite et offre une redondance analogue à celle du GPS américain, en plus de capacités tout aussi significatives d’un point de vue militaire. Les capacités de reconnaissance et d’observation chinoises ont également connu un accroissement durant l’année 2020. Les observateurs notent ainsi que huit Gaofen (reconnaissance optique à haute résolution), sept Yaogan (reconnaissance optique ou ELINT/SIGINT) et quatre Haiyang (observation optique/radar océanique) ont été lancés en un an. Plus largement, la Chine dispose de toute la gamme des capacités de renseignement satellitaires – les désignations génériques cachant des variantes parfois très spécifiques (5). Elle peut également s’appuyer sur le développement des capacités privées. Charming Globe, spécialisé dans l’observation, a ainsi lancé 11 satellites en 2020. Spacety aussi a lancé un premier satellite radar, Haisi‑1, le 22 décembre.

Les capacités chinoises sont importantes. La DIA (Defense intelligence agency) estimait ainsi que Beijing disposait en orbite, au 1er mai 2018, de plus de 50 satellites de renseignement, de 28 satellites de géonavigation, de quatre satellites militaires de communication, de quatre satellites relais et de deux satellites de recherche. En réalité, la nature duale de l’espace chinois cache la possible utilisation militaire de ressources civiles – à l’instar, pour les capacités navales chinoises, des logiques de stratégisation des garde-­côtes, de la milice maritime et de la flotte marchande. À la même date, les capacités civiles, commerciales et militaires totalisaient 34 satellites de communication, 124 satellites de renseignement – soit la deuxième capacité mondiale – et 60 satellites de recherche – en plus des 28 Beidou et des quatre satellites relais (6).

Certains déficits ne sont qu’apparents. Si l’Armée populaire de libération ne dispose que de quatre satellites de communication, la Chine a mis en orbite Micius (Mozi), la première plate-­forme devant permettre des transmissions quantiques, assurant un degré inédit de sécurité des communications. Lancé en 2016, le satellite a permis en 2017 une transmission de 7 400 km entre Beijing et Vienne en distribuant des clés cryptographiques. En 2020, Micius a transmis des flux de photons intriqués entre deux terminaux distants de 1 200 km, jouant effectivement un rôle de satellite de communication (7).

Dans le même temps, elle a également étoffé ses capacités SSA (Space situation awareness), même si toutes ne sont probablement pas connues. Elles comprennent cependant quatre radars phased-­array dotés d’antennes de grandes dimensions (30 m environ) installés à Huanan, à Yiyuan, à Hangzhou et à Korla. Elle a aussi mis en place, en 2015, un centre destiné à la surveillance et au suivi des débris spatiaux, tout comme elle entretient des capacités civiles de poursuite satellitaire qui pourraient avoir un rôle secondaire en SSA. Celles-ci s’appuient sur une flotte de sept navires spécialisés Yuanwang, de même que sur des stations au sol positionnées dans plusieurs pays et qui peuvent inclure des télescopes : Pakistan (Karachi), Namibie (Swakopmund), Kenya (Malindi), Australie (Dongara), Chili (Santiago), Brésil (Alcantara), Argentine (Neuquén) et Suède (Kiruna). À travers l’Asia-Pacific space cooperation organization (APSCO), la Chine bénéficie également d’informations provenant de télescopes au Pakistan, au Pérou et en Iran, et centralisées à Beijing. À terme, ces efforts devraient déboucher sur un système de surveillance des débris spatiaux incluant une capacité de traitement des données.

<strong>Le New Space chinois est une réalité</strong>

Plusieurs opérateurs privés se sont positionnés sur le marché du spatial, la plupart offrant des services satellitaires : Charming Globe, iSpace, Landspace, Galactic Energy, Galaxy Space, Commsat, Leobit ou encore Spacety. Leurs levées de fond en 2019 et 2020 ont été considérables en dépit d’une forte régulation du secteur. Plusieurs acteurs initialement extérieurs au spatial, comme Xioami ou Geely (automobile) semblent s’y intéresser de près. Les concepts avancés sont également étudiés. iSpace devrait faire voler son Hyperbola‑2, réutilisable et à atterrissage vertical, cette année. Au-delà, le « New Infrastructure Project » (新基建) a été présenté en mars 2020. Ce projet organise le développement de systèmes incluant la 5G, l’intelligence artificielle, mais aussi celui de l’Internet via les satellites. Il ouvre donc la porte à la constitution de constellations massives de microsatellites. Il serait ainsi question d’une constellation baptisée GW qui devrait compter à terme environ 13 000 satellites. Le « New Infrastructure Project » pourrait également pousser le secteur privé classique, qui a encore peu investi dans le new space – au contraire de ce qui se fait aux États-Unis –, à s’y engager plus nettement. Autrement dit, les marges de croissance du spatial chinois sont encore loin d’avoir été épuisées.

Actions co-orbitales

La Chine a organisé plusieurs rendez-­vous orbitaux au long des années 2010 (8). Dès l’été 2010, les deux satellites SJ‑12 et SJ‑06F se sont approchés l’un de l’autre. En juillet 2013, trois satellites (SY‑07, SJ‑15, CX‑3), dont un doté d’un bras robotique, ont opéré de concert avant qu’un quatrième satellite chinois soit approché en août, les États-Unis indiquant qu’il avait été accroché par le bras. En octobre, une charge a été libérée du SY‑07, tandis que le SJ‑15 a encore effectué plusieurs manœuvres, jusqu’en 2016. Dans ces cas de figure, les capacités ont été présentées comme civiles ou relevant d’expériences scientifiques, bien qu’aucun article lié n’ait été publié. La Chine a lancé 25 juin de cette même année AL‑1 Roaming Dragon, un petit satellite devant permettre de démontrer la capacité à capturer un débris orbital, en même temps qu’un autre système, Tianyuan‑1, de ravitaillement de satellite. Ces deux systèmes ne semblent cependant pas avoir réellement réalisé leurs missions, mais plutôt avoir joué un rôle de simulation.

En novembre 2016, le satellite SJ‑17 a été placé sur une orbite géostationnaire pour se positionner à proximité d’un autre satellite chinois lancé en 1998, Chinasat 5A, avant de s’en éloigner. Fin décembre 2016, ce dernier a quitté l’orbite… Le SJ‑17 a également modifié son orbite à plusieurs reprises en 2017 et 2018. En décembre 2018, c’est TJS‑3 qui a été lancé, là aussi sur une orbite géostationnaire, mais son moteur d’aide à la mise en orbite a fini par se positionner à ses côtés, de manière stabilisée. Beijing n’a pas commenté ces différentes missions autrement qu’en parlant de recherche scientifique ou de satellites destinés à des essais. En tout état de cause, un certain nombre de techniques ont pu être testées sous le couvert d’activités civiles. Dans le cas de TJS‑3, certains analystes évoquent un satellite de détection de lancement de missiles balistiques. On peut poser l’hypothèse que, dans pareil cadre, le « moteur » l’accompagnant pourrait non seulement avoir eu pour première fonction l’aide à la mise en orbite géostationnaire, mais également avoir une fonction d’escorte et de protection, qu’elle soit opérationnelle ou d’essai.

<strong>Vols habités et exploration : du civil d’intérêt politique</strong>

Les progrès chinois ont également été bien réels dans les domaines du vol habité et de l’exploration spatiale en 2020. Le Next generation crewed spacecraft (NGCS), prototype de la future capsule chinoise, a été lancé pour la première fois en mai. Le vol, non habité, a été un succès et ouvre la voie aux prochains vols de taïkonautes, y compris vers la Lune. Il n’en est cependant pas immédiatement question dès lors que la future Longue Marche‑9, qui devra être capable de placer 50 t en orbite translunaire, n’effectuerait son premier vol qu’en 2030. D’ici là, la capsule NGCS offrira des possibilités opérationnelles plus importantes, avec une autonomie de l’ordre de 21 jours. Par ailleurs, le 16 décembre 2020, la sonde Chang’e 5 est revenue sur Terre avec 1,7 kg d’échantillons lunaires. On note qu’au cours de cette mission a eu lieu le premier amarrage automatique en orbite lunaire. Par ailleurs, le programme de troisième station spatiale nationale (1) continue d’être mené tambour battant : en 2021 et 2022, onze lancements la concerneront.

Note

(1) Les stations Tiangong‑1 et Tiangong‑2 ont été désorbitées.

Systèmes ASAT à ascension directe

Officiellement, la Chine ne reconnaît pas avoir des capacités ASAT, même si elle dispose de capacités tirées du sol, une question étudiée dès les années 1970 (9). Trois systèmes semblent en service ou sur le point de l’être :

• le SC‑19/DN‑1 (10), qui serait dérivé du DF‑21C, mais intégrerait des éléments du missile surface-­air HQ‑19, y compris son système d’interception terminal hit-to-kill. Son premier essai dynamique a été réalisé en juin 2005 avant une première interception effective d’un satellite en janvier 2007 (un premier essai raté avait eu lieu en février 2006). Deux essais antibalistiques réussis ont été effectués en janvier 2010 et janvier 2013 ;

• le DN‑2, qui a volé en mai 2013 et a atteint un apogée à 30 000 km, ce qui laisse supposer la recherche d’une capacité à attaquer des satellites sur les orbites moyenne et géostationnaire – cette capacité n’étant pas nécessairement opérationnelle. En juillet 2014, un autre test a été mené, sans qu’il y ait consensus sur le fait qu’il s’agisse d’un DN‑1 ou d’un DN‑2. La Chine a indiqué avoir effectué un essai antimissile, tandis que le secrétaire adjoint pour le contrôle des armements américain estimait qu’il s’agissait d’un test ASAT (11) ;

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