La crise sanitaire de la Covid-19 a révélé la place de la culture dans le quotidien des Français. Le confinement imposé à la population entre le 17 mars et le 11 mai 2020 a surtout confirmé la mutation des pratiques et des consommations ainsi que les inégalités d’accès à la culture en règle générale. Tous les territoires du pays ne sont en effet pas équipés de la même façon, tandis que le numérique prend de plus en plus de place.
Longtemps, la culture n’était accessible qu’à ceux qui se déplaçaient pour aller au cinéma ou à la bibliothèque, au théâtre ou à l’opéra. Désormais, c’est la culture qui se déplace, pénètre dans les foyers et accède aux consommateurs modernes avec les nombreux supports numériques portables (tablettes, smartphones, ordinateurs…). Selon le ministère de la Culture, la consommation culturelle des Français ne cesse de croître, et ce quel que soit le profil de l’individu (1). Mais la culture a changé de nature et s’est diversifiée.
Vers une fracture culturelle ?
Une fracture semble de plus en plus s’opérer, de manière schématique, entre deux France qui s’opposent. D’un côté, une France de la culture « classique » (littérature, théâtres, musées…), qui révèle une sociologie plus urbaine, plus éduquée, plus féminine, plus âgée également (avec la génération des « baby boomers »). De l’autre, une France numérique, plus consommatrice de programmes audiovisuels, de musique en ligne, de jeux vidéo, de streaming… ; une France plus jeune, plus masculine, tant urbaine que rurale. Si la première catégorie a tendance à stagner ou à régresser depuis les années 1970, la seconde est, quant à elle, en pleine dynamique, suivant l’essor de l’industrie des nouvelles technologies. Ainsi, 44 % des personnes âgées de 15 ans et plus s’adonnent aux jeux vidéo en 2018, contre 19 % en 1997. Cette mutation pose la question du financement. Car la culture classique est souvent subventionnée, donc coûteuse. Les lieux publics de la culture vont-ils être encore fréquentés dans les prochaines décennies alors que la clientèle jeune semble s’en détourner ?
La culture en France ne relève pas uniquement d’une politique nationale. Les politiques de décentralisation menées depuis le début des années 1980 ont permis de faire des collectivités territoriales des acteurs du monde de la culture, contribuant ainsi au développement des territoires de proximité. Les dépenses culturelles des collectivités territoriales ont atteint 8,7 milliards d’euros en 2017, soit un montant plus de deux fois supérieur aux 3,6 milliards d’euros de budget du ministère de la Culture (2). Il faut y ajouter 4,3 milliards de dépenses à caractère culturel des autres ministères, pour un total d’investissement public de 16,8 milliards en 2019.
Il y a en France, en 2018, plus de 16 000 lieux de lecture publique (médiathèques, bibliothèques, centres de consultation des archives), 440 lieux de spectacle labellisés par le ministère de la Culture, 1 200 musées de France (gérés par l’État) et une quarantaine de musées nationaux (sous tutelle du ministère de la Culture), 400 jardins remarquables, plus de 2 000 cinémas… Mais la culture, ce sont aussi des acteurs privés : des éditeurs de presse, des chaînes de télévision, des groupes multimédias, des propriétaires de salles de cinéma privées… Le poids économique de la culture représente 44,5 milliards d’euros en 2019, soit 2,3 % de l’ensemble de l’économie nationale. La presse, l’achat de livres et la papeterie sont toujours au premier rang des dépenses culturelles des Français avec 15 milliards d’euros, mais ont connu une érosion sensible depuis le début du XXIe siècle (19,9 % en 2000 contre 15 % en 2019). Les services culturels (cinéma, spectacles vivants, musées, abonnements audiovisuels, tirages photo) suivent dans ce classement des dépenses (12,43 milliards), devant celles en télévision, hi-fi, vidéo, produits musicaux… Mais ces résultats cachent la réalité, de plus en plus croissante, de l’accès à une culture gratuite, en ligne, sur différents supports numériques.
Une accessibilité inégale
L’accès aux différentes formes de production culturelle « classique » est profondément inégalitaire entre les territoires. Car si la culture numérique peut irriguer l’ensemble des territoires équipés de câbles (en 2019, selon l’INSEE, 12 % des individus âgés de 15 ans et plus ne disposaient d’aucun accès à Internet), certains d’entre eux, même s’ils sont peu nombreux, disposent d’une offre d’équipements moins importante que la moyenne, et peuvent être considérés parfois comme des « zones blanches ».
C’est le cas des espaces hyper-ruraux et périurbains de faible densité de peuplement, bien que la dotation en équipements de proximité (médiathèques, bibliothèques, écoles de musique) ne soit jamais totalement absente. En 2015, le ministère de la Culture avait identifié 86 territoires concernés par cette situation, dont la moitié étaient situés dans neuf départements : quatre métropolitains (Eure, Loiret, Moselle et Vosges) et les cinq d’outre-mer. Les types d’équipements et leur densité demeurent corrélés à la taille des bassins de vie. Ainsi, les équipements et les lieux de création et de diffusion du spectacle vivant (théâtres, salles de spectacle et de concert) sont principalement concentrés en Île-de-France (un tiers) et dans les grandes métropoles. C’est encore plus significatif quand il s’agit des conservatoires de musique, de danse et d’art dramatique majoritairement présents à Paris et en Île-de-France et dans les métropoles régionales. La fracture culturelle des territoires est une réalité.
Carthographie de Laura Margueritte.

Notes
(1) Philippe Lombardo et Loup Wolff, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, ministère de la Culture, juillet 2020.
(2) Antoine Karam et Sonia de la Provôté, Rapport d’information sur les nouveaux territoires de la culture, Sénat, décembre 2019.