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La Moldavie de Maia Sandu à l’heure des défis

Pourriez-vous dresser le portrait de Maia Sandu, nouvelle présidente de la République de Moldavie, élue le 15 novembre 2020 ? Qu’est-ce qui, chez elle, a convaincu les électeurs moldaves ?

F. Parmentier  : Maia Sandu est une de ces personnalités moldaves qui ont émergé assez tardivement. Elle vient de l’extérieur du champ politique et apporte une dimension d’expertise et l’exemplarité d’une personne engagée dans la lutte contre la corruption. Ce sont les deux principales valeurs véhiculées par son style de leadership.

Née en 1972, elle a vingt ans environ lors de la chute de l’URSS. Elle étudie à l’académie des Études économiques de Moldavie, à l’académie d’Administration publique puis à Harvard avant d’accéder à un poste à la Banque mondiale. Elle fait ses débuts en politique en 2012 en étant directement nommée au poste de ministre de l’Éducation nationale. Elle comprend alors les limites de l’Alliance pour l’intégration européenne — la coalition gouvernementale — et décide de créer le Parti action et solidarité (PAS). Pour ce faire, elle s’est appuyée sur différents cercles concentriques de personnalités en poste dans l’administration centrale et ayant travaillé à l’étranger.

Après un premier échec à la présidentielle en 2016, elle consolide son assise politique jusqu’à sa victoire en novembre 2020 avec un score fleuve de plus de 57 % au second tour. La participation des jeunes, de la diaspora et de l’électorat roumanophone a été substantielle, et par ailleurs, Maia Sandu a su trouver une position moins clivante que celle d’autres candidats de la droite.

Notons également que la crise politique de l’été 2019 a servi de révélateur, et que la coalition gouvernementale qui en est sortie, menée par Maia Sandu, a été un moment « d’échec sur la voie du succès ». Une tripartition s’était imposée à la suite des élections de février 2019 entre le parti socialiste du président Igor Dodon, le parti démocrate de l’oligarque Vladimir Plahotniuc et la coalition de Maia Sandu. On s’attendait à ce que les démocrates soient au cœur de la future coalition. Contre toute attente, une alliance s’est créée entre Igor Dodon et Maia Sandu, faisant face à Plahotniuc et causant le départ de ce dernier en juin 2019. Si, au sein de cette coalition, les tensions n’ont pas tardé à monter, Maia Sandu, qui était alors cheffe du gouvernement, a su s’entourer de nouveau de personnalités au profil technique, confortant ainsi sa « présidentialité ». Enfin, la chute de ce gouvernement de coalition juste avant le début de la pandémie lui a permis d’éviter de porter la responsabilité de la gestion de la crise.

Que dire du paysage politique en recomposition dans lequel Maia Sandu a su s’imposer ?

Les évènements ont joué en la défaveur des autres forces politiques. Il y a d’abord la responsabilité de la gestion de la pandémie, élément d’affaiblissement du président sortant. Mais surtout, plusieurs affaires de malversations lui ont été attribuées. On peut donc dire que ce dernier partait avec un certain nombre de handicaps alors qu’il disposait d’une machine de guerre électorale plus importante que Maia Sandu, sans même parler de l’appui de la Russie à sa candidature.

Lorsque l’on s’intéresse au report des voix lors du second tour, on remarque aussi que des russophones se sont abstenus ou ont suivi le troisième candidat, Renato Usatîi, qui a pris position pour Maia Sandu. Igor Dodon a ainsi été affaibli par cette fragmentation de l’électorat prorusse (Renato Usatîi a récolté 17 % des suffrages exprimés). Maia Sandu a quant à elle réussi à s’extirper de ce clivage prorusse ou antirusse pour s’élever au niveau d’autres questions politiques, malgré la présence d’autres candidats du centre ou de la droite, tels Andrei Nastase, ancien ministre de l’Intérieur, ou Dorin Chirtoaca, ancien maire de Chisinau. Pour autant, nous n’avons eu que des déclarations de principe sur ce qui constitue la colonne vertébrale de son programme : la lutte contre la pauvreté et la corruption, les deux principaux problèmes de la Moldavie. Cela s’apparente donc plus à un projet qu’à un programme structuré ou à une feuille de route.

Une vraie question se pose : la Russie a-t-elle tout misé sur Igor Dodon ? Sur Igor Dodon et Renato Usatîi ? Ou sur un certain nombre de personnes gravitant autour de Maia Sandu ? Sachant que cette dernière va devoir créer les conditions d’un dialogue entre Moscou et Chisinau, mais aussi avec Bucarest et Kiev.

Le gouvernement moldave a démissionné en décembre 2020, quelques semaines après l’élection de Maia Sandu, ouvrant la voie à de possibles élections législatives durant l’été 2021. Vous faisiez récemment remarquer que de telles élections pourraient avoir l’effet d’un « troisième tour » de l’élection présidentielle (1). Qu’entendez-vous par là ?

L’originalité de la politique moldave est qu’une « seconde campagne électorale » a commencé après l’élection de la Présidente, dans la perspective d’une dissolution du Parlement (où elle est minoritaire). On a ainsi vu Igor Dodon faire passer une loi faisant du russe la seconde langue officielle du pays, afin de ramener les russophones à lui — loi qui a finalement été rejetée par la Cour suprême.

La seconde question en suspens est celle du choix du Premier ministre par Maia Sandu, qui aura besoin d’un appui solide. Et pour cause : la Présidente, en dehors d’un pouvoir important de nomination des juges et en matière de politique étrangère, n’a pas autant de pouvoirs que le chef du gouvernement dans cette république parlementaire.

En pratique, le gouvernement en exercice doit démissionner à la suite de l’élection présidentielle afin que le nouveau chef d’État propose son candidat pour le poste de Premier ministre. (Il dispose de deux « tentatives » avant la dissolution du Parlement et la convocation des électeurs aux urnes.) Au 9 février, le nom de Natalia Gavrilita a été proposé une première fois par la Présidente. Il s’agit d’une personnalité formée entre la Moldavie et Harvard, avec un passage par Oxford. Son parcours est techniquement irréprochable et international, même si elle n’a pas de réel poids politique en dehors de son poste de ministre des Finances sous le gouvernement Sandu. De cette manière, Maia Sandu tente de promouvoir un profil technique à dessein : soit elle réussit son pari en parvenant à la nommer Première ministre, soit elle se rapproche d’une solution politique dans laquelle elle pourrait reprendre la main avec des législatives anticipées.

Maia Sandu doit en effet renforcer la position au Parlement de la coalition du bloc ACUM (associant le PAS au parti de centre droit Plateforme vérité et dignité) — ce dernier ne dispose actuellement que de vingt-six représentants sur cent un. On parle alors d’une sorte de « troisième tour » du scrutin présidentiel, car l’obtention d’une majorité au Parlement donnerait à Maia Sandu un pouvoir structurel lui permettant de mener à bien ses réformes. C’est donc l’objectif actuel de la Présidente, qui est dans une dynamique particulière puisqu’elle n’use pas d’une communication en ligne ni de la proximité avec ses électeurs. Ici, le duo exemplarité-compétence prime sur la communication en ligne.

Toutefois, si vote il y avait, il n’est pas certain que Maia Sandu le remporterait. Tout dépendrait du mode de scrutin, mais aussi de l’ampleur des résistances partisanes locales. Les partis démocrate ou socialiste possèdent ainsi de réelles assises dans certaines circonscriptions. C’est une donnée que l’on a encore du mal à appréhender, tout comme la possible multiplication des candidatures. Rien n’est donc gagné.

Quelles inflexions en matière de politique étrangère sont à attendre ? Quel rôle l’Union européenne (UE) a-t-elle à jouer ?

Pour définir la politique étrangère moldave, il faut penser en termes d’inerties sur lesquelles le clivage politique prorusse ou antirusse a peu de prise effective, en tout cas moins que symbolique. C’est le cas du dossier transnistrien (voir infra), mais aussi de l’intégration durable de la Moldavie dans l’espace européen. Ce constat plaide pour une forte demande de changements politiques internes, pour plus d’exemplarité de l’État moldave et moins pour des manœuvres de politiques internationales. La politique extérieure de Maia Sandu devrait donc être assez comparable à celle de ses prédécesseurs : un mouvement vers l’UE qui évite de tendre les relations avec la Russie.

La Moldavie est par ailleurs fortement liée au marché européen depuis la signature en 2014 d’un accord d’association avec l’UE. Cet accès au marché européen est à la fois un moteur pour les réformes et une récompense.

Toutefois, si les Européens réfléchissent en termes d’immigration, la Moldavie, elle, doit penser en termes d’émigration : pour éviter la dépopulation, elle doit organiser des retours au pays ou maintenir des liens avec les ressortissants moldaves à l’étranger. À ce titre, une réflexion commune sur le volet démographique serait intéressante, à l’aune de l’expérience de la Roumanie et de la Bulgarie qui ont aussi connu ces difficultés depuis 1989.

Quelle réaction attendre de la part de Moscou ?

Il est vrai que la Présidente s’est récemment prononcée en faveur d’une sortie des troupes russes de Transnistrie (territoire sécessionniste de la Moldavie non reconnu par la communauté internationale). Il s’agit d’un discours classique. Par exemple, le parti communiste avait déjà formulé cette demande dès 2005, après avoir tenté un rapprochement avec Tiraspol. Ce à quoi la Russie a répondu — comme à son habitude — que Chisinau devrait régler la dette de la Transnistrie à l’égard de Gazprom, qui représente près d’une année de PIB pour la Moldavie.

Par ailleurs, il va de soi qu’il existe une politique russe en Transnistrie, même si les regards sont actuellement tournés vers le Caucase du Sud et la Biélorussie. Cette dernière consiste à utiliser la Transnistrie comme un levier d’influence sur la gouvernance moldave pour éviter au pays de « tomber dans l’OTAN ou l’UE », sans soutenir pour autant l’indépendance de Tiraspol. Pourtant, l’article 11 de la Constitution moldave proclame la « neutralité permanente » du pays. On comprend donc que cette neutralité est avant tout l’objet d’une discussion entre États.

Par ailleurs, la Russie ne déploie pas beaucoup d’efforts pour intégrer économiquement la Moldavie et ainsi concurrencer l’Union européenne. Les avantages que Moscou fait miroiter quant à l’accès au marché économique eurasiatique ne sont pas acceptables en Moldavie, même pour les prorusses. Et pour cause : le commerce moldave est déjà réorienté vers les marchés européens.

Maia Sandu a été reçue au palais de l’Élysée le 4 février dernier. Il s’agissait d’un des premiers voyages officiels à l’étranger pour la Présidente après Bruxelles et Kiev. Durant leur déclaration conjointe à la presse (2), les deux chefs d’État ont fait part de leur souhait de renforcer les liens qui unissent la France et la Moldavie. Quelle forme pourrait prendre cette coopération renforcée ?

La présence française en Moldavie remonte à 1989 avec l’ouverture de la première Alliance française. Dès l’indépendance de la Moldavie, la France a donc disposé d’un réseau culturel sur place. Aujourd’hui, elle peut aussi s’appuyer sur quelques acteurs économiques tels que Lafarge, Lactalis, Orange ou encore la Chambre de commerce et d’industrie France-Moldavie.

À propos de l'auteur

Florent Parmentier

Secrétaire général du CEVIPOF, enseignant à Sciences Po et chercheur-associé au centre de géopolitique de HEC.

À propos de l'auteur

Anastasiya Shapochkina

Présidente et co-fondatrice du club de réflexion géopolitique Eastern Circles.

À propos de l'auteur

Gabrielle Valli

Vice-présidente et co-fondatrice du club de réflexion géopolitique Eastern Circles.

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