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F-16V, l’autre atout export de Washington

À toute chose malheur est bon. Le F-35 de Lockheed Martin accusant retards et surcoûts, l’avionneur américain a pris soin de moderniser une nouvelle fois son célèbre F-16, dans une version Viper présentant un bon équilibre entre formules éprouvées et technologies de pointe. Mais loin de simplement faire patienter en attendant la maturation du F-35, le F-16V semble taillé sur mesure pour concurrencer durablement les chasseurs européens – et russes – sur leur propre terrain.

À la fin des années 1970, avant même que le premier F‑16A Fighting Falcon ne soit livré à l’US Air Force, le nouveau chasseur de General Dynamics était déjà un succès à l’exportation. Avec ses commandes de vol électriques, sa canopée en forme de bulle et son entrée d’air ventrale, le F‑16 adopte alors une ligne futuriste. Les premiers pilotes ne s’y trompent pas et donnent bien vite à ce petit chasseur agile et nerveux le surnom de « Viper », en référence à l’appareil du même nom de la série télévisée Battlestar Galactica. Toutefois, ce n’est qu’en 2012 que Lockheed Martin, qui gère la production du F‑16 depuis 1993, officialise (commercialement en tous cas) la dénomination « Viper », désormais associée à une nouvelle variante majeure de l’appareil, le F‑16V Block 70/72.

De nouveaux marchés à saisir

Avec 2 300 appareils opérationnels, sur plus de 4 600 produits, le F‑16 est incontestablement le chasseur le plus répandu au monde. Au début des années 2000, il semblait entendu que le F‑35 serait son digne successeur. Avec une silhouette furtive, un fort tropisme pour les missions air-sol et la promesse d’un coût unitaire réduit, le F‑35 devait pouvoir répondre aux nouveaux enjeux de la guerre asymétrique tout en restant redoutable face à un adversaire de premier ordre. De quoi écraser la concurrence haut et milieu de gamme, qu’elle soit européenne ou américaine, en ne laissant de la place que pour quelques chasseurs légers spécialisés en police du ciel.

Mais les réalités techniques et géopolitiques ont rapidement bouleversé les ambitions commerciales de Lockheed Martin. D’une part, afin de contrer la montée en puissance de la Russie tout en s’investissant dans les opérations extérieures de l’Alliance, certains nouveaux membres de l’OTAN ont très vite augmenté substantiellement les moyens accordés à leurs forces aériennes. Les petits Gripen et autres L‑159 ALCA, taillés sur mesure pour le remplacement des MiG‑21, ont rapidement été délaissés par leur cœur de cible théorique. D’autre part, si le F‑35 est toujours présenté comme le remplaçant naturel du F‑16 et comme le ticket d’or pour pleinement intégrer les opérations aériennes de l’OTAN, les gigantesques surcoûts du programme rendent son exploitation illusoire pour les plus petites forces aériennes, qui n’auraient pas de quoi se payer assez de cellules pour assurer ne serait-ce que la police du ciel. Dans le même temps, les commandes de F‑35 par la plupart des grandes forces aériennes de l’OTAN en font indubitablement la nouvelle référence de l’Alliance, poussant d’ailleurs le Rafale, le Typhoon et le Super Hornet à évoluer afin de rester au même niveau de connectivité. Afin de ne pas perdre les clients déroutés par les déboires du F‑35, Lockheed Martin entreprend donc de faire évoluer une dernière fois son F‑16. L’idée est simple : proposer un avion moins cher qu’un Rafale ou qu’un Super Hornet, doté de technologies développées pour le F‑35 et capable de pleinement interagir avec ce dernier, que ce soit au sein d’une unique force aérienne ou au cœur d’une coalition. Cerise sur le gâteau, le nouveau F‑16V sera proposé neuf ou en rétrofit, afin de profiter du gigantesque réservoir de cellules déjà en circulation partout dans le monde.

Entre conservatisme et innovation

D’un point de vue technique, le F‑16V Block 70/72 se présente comme l’ultime évolution du F‑16C Block 50/52 (1). Les appareils neufs arborent ainsi les réservoirs conformes dorsaux typiques du Block 50/52+ et la même configuration générale. Toutefois, la structure dispose nativement d’une durée de vie de 12 000 heures de vol et la quasi-­totalité de l’avionique est modernisée en profondeur. Le radar APG‑68 laisse la place au radar à antenne active APG‑83 SABR de Northrop Grumman, qui intègre certaines technologies de l’APG‑81 du F‑35. Les trois calculateurs de base sont également remplacés par le MMC (Modular mission computer) qui offre bien plus de puissance de calcul, permet une meilleure fusion de données des capteurs et dont l’évolutivité permettra un travail collaboratif avec d’autres avions, y compris des F‑35. Le nouveau cockpit s’articule autour de plusieurs écrans multifonctions, dont le nouveau Centre pedestral display situé entre les jambes du pilote. Le viseur de casque standard est le JHMCS‑II d’Elbit Systems.

L’appareil dispose d’un système anti-­crash AGCAS, d’un nouvel IFF et d’une nouvelle suite de communication. Le tout s’appuie sur une architecture gigabit-Ethernet, qui permet d’intégrer plus facilement de nouvelles configurations d’armement, mais aussi le nouveau système de guerre électronique interne Viper Shield, en cours de développement par L3Harris. Le Block 70 est propulsé par un General Electric F110‑GE‑129 (13,4 t de poussée) tandis que le Block 72 est doté du Pratt & Whitney F100‑PW‑229 EEP (13,2 t de poussée).

Ainsi équipé, le F‑16V n’est pas à proprement parler le F‑16 le plus performant. Les F‑16E/F Block 60 livrés au début des années 2000 aux Émirats arabes unis disposent ainsi d’un moteur de 14,7 t de poussée, d’un APG‑80 plus puissant, d’une architecture fibre optique ainsi que d’un FLIR intégré. Conçu ab initio comme un nouvel appareil, le Block 60 n’est pas limité par le besoin d’être compatible avec les anciennes versions du F‑16, tout particulièrement au niveau de la baie moteur et du système de refroidissement du radar. Mais étant conçu pour être nettement plus modulaire que le F‑16E, le nouveau F‑16V s’avère également bien moins cher, et ce standard offre l’énorme avantage de pouvoir être intégré, sous forme de kit, sur tous les F‑16 à partir du Block 20. Selon son budget, un client peut donc choisir d’implémenter plus ou moins d’options « Viper » lorsqu’il décide de passer sa flotte existante au standard F‑16V, permettant de disposer d’un appareil performant deux à trois fois moins cher qu’un Viper neuf. Pour Lockheed Martin, cette rétrocompatibilité est une aubaine commerciale qui permet d’occuper un marché de la seconde main très dynamique. Que ce soit en ventes directes ou en Foreign military sales (FMS), via le Département d’État américain, les F‑16 d’occasion se sont en effet vendus ces dernières années en Roumanie, en Jordanie, en Indonésie et en Thaïlande, ou encore au Pakistan et au Chili.

Un nouveau best-seller mondial ?

Lorsqu’il est dévoilé par Lockheed Martin en 2012 au Singapore Airshow, le F‑16V est déjà un succès commercial après une première vente à Taïwan l’année précédente. Si Taipei désire depuis des années acheter des F‑35, Washington a toujours rejeté cette vente, jugée trop sensible. En lot de consolation, Taïwan a finalement été autorisé à moderniser 142 F‑16A/B à partir de kits, avec un premier appareil livré dès 2018. La vente de 66 nouveaux appareils est également autorisée, la production débutant dans l’usine de Greenville en 2019. Dès cette première vente, le Viper confirme donc son positionnement commercial, à savoir proposer un chasseur américain abordable pour les clients qui souhaitent maintenir leurs liens privilégiés avec Washington, mais pour qui l’achat de F‑15 ou de F‑35 est inenvisageable pour des raisons de coûts ou de blocages politiques.

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