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Décourager, défendre, défaire. Vers une nouvelle vision pour l’armée de l’Air et de l’Espace

Les qualités intrinsèques de la puissance aérienne en font l’outil politique et stratégique par excellence de l’époque contemporaine. Ajustable et réactive, ostensible ou discrète, réversible, polyvalente et fulgurante, elle est une arme précieuse, capable de s’adapter idéalement au tempo décisionnel imposé par les crises actuelles.

L’armée de l’Air et de l’Espace, exploitant ces atouts, démontre en permanence sa capacité à agir sur un large spectre, comme en témoignent les engagements récents :
• l’opération « Apagan » d’abord illustre la réactivité, l’efficacité, la polyvalence et la complémentarité des moyens aériens. Cette opération d’évacuation de ressortissants français et européens et d’Afghans depuis l’aéroport de Kaboul, au cœur de l’été 2021, a aussi montré l’importance des points d’appui, puisque la base aérienne 104 d’Al-Dhafra a joué un rôle majeur dans le dispositif mis en place ;
• la mission de projection de puissance « Heifara » jusque dans la zone indopacifique a mis en lumière la capacité de l’armée de l’Air et de l’Espace à agir rapidement et à commander une opération à l’autre bout du monde ;
• les aviateurs sont aussi engagés dans les opérations « Chammal » et « Barkhane », où la réorganisation du dispositif s’appuie sur les capacités de réassurance apportées par la troisième dimension, et les capacités logistiques offertes par l’A400M, y compris sur les terrains sommaires ;
• les postures permanentes de sûreté aérienne et de dissuasion démontrent au quotidien la fiabilité et l’efficacité de l’armée de l’Air et de l’Espace, comme l’illustrent les 66 vies sauvées et les plus de 150 décollages sur cas réels en 2021 dans le cadre de la posture permanente de sûreté aérienne, ou les exercices « Poker » des forces aériennes stratégiques. Ces derniers sont de véritables démonstrations de puissance. Ces déploiements de plusieurs dizaines d’avions reproduisant un raid nucléaire ont lieu quatre fois par an, et témoignent de la résilience des aviateurs et de la crédibilité de la force de dissuasion nucléaire aéroportée.

L’armée de l’Air et de l’Espace est donc au rendez-­vous des opérations. L’enjeu des prochaines décennies sera de rester crédible sur l’ensemble du spectre d’engagement dans un environnement plus contesté et plus complexe. En effet, je constate que la supériorité aérienne et la liberté d’action spatiale dont les Occidentaux ont globalement bénéficié ces trente dernières années sont désormais contestées par :
une dynamique de « contournement par le haut », avec un investissement massif permettant la mise en service, par un nombre croissant de pays, de moyens de combat et de déni d’accès performants, dans tous les milieux et champs de confrontation ;
la prolifération de systèmes offensifs et défensifs dans de vastes zones de réarmement où se développe particulièrement la puissance aérienne depuis 2014, de l’Asie jusqu’à l’espace méditerranéen, en passant par le Moyen-Orient ;
l’utilisation de systèmes à bas coûts, conférant une forme de « puissance aérienne du pauvre », parfois saturante et face à laquelle le rapport de coûts est très défavorable à la défense. Les récents combats au Haut-­Karabagh, en Libye et dans le nord de la Syrie ont démontré la possibilité d’utilisation de certains modes d’action pour changer les rapports de force ;
la réduction du format des aviations de combat occidentales depuis la fin de la guerre froide : de 6 000 à 3 500 pour les États-Unis (− 42 %), et de 7 000 à 1 800 pour l’Europe. Cette contraction des flottes s’accompagne généralement d’une préparation opérationnelle contrainte, couplée à un fort engagement sur le terrain ;
l’essor de menaces dans l’espace qui n’échappe pas à ces bouleversements, au travers de capacités duales aux finalités ambiguës : le nombre annuel de satellites mis en orbite a été multiplié par dix en dix ans (1). La tendance s’accélère avec le développement de constellations de milliers de satellites, mais aussi de capacités militaires nouvelles, notamment chinoises et russes (arme orbitale hypervéloce, aveuglement, brouilleurs, espionnage, tir de missile antisatellite…).

Par ailleurs, les combats pour la supériorité aérienne sont déjà une réalité : 98 chasseurs, 63 hélicoptères, 24 avions de transport et 335 drones de tous types ont été abattus sur la dernière décennie, essentiellement aux marches de l’Europe (2). Après vingt ans de baisse progressive du format des aviations de combat occidentales, et malgré des progrès technologiques, dix années d’investissements majeurs par des compétiteurs viennent ainsi remettre en cause ce facteur premier de supériorité.

Ce contexte stratégique instable exige une puissance aérienne et spatiale renforcée. En effet, pour continuer de garantir la liberté d’action des forces alors que les espaces aériens deviennent de plus en plus contestés, il faut être en mesure, tout en assurant la posture de dissuasion aéroportée, d’imposer des effets décisifs pour :
décourager un adversaire potentiel dans sa volonté d’affaiblir les positions de la France, de menacer ses intérêts ou d’entraver sa liberté d’action ;
défendre et protéger nos concitoyens, où qu’ils se trouvent, notamment par les postures permanentes de sûreté pour le territoire national, par l’aide apportée lors des crises ou catastrophes et par des évacuations de ressortissants ;
défaire tout ennemi qui userait de la force pour tenter de nous imposer sa volonté, y compris dans un affrontement de haute intensité.

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