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Taïwan : une puissance diplomatique ?

Considérée comme un poids plume vis-à-vis de la République populaire de Chine, la République de Chine (Taïwan) n’en demeurait pas moins la 20e puissance économique mondiale en 2020. La même année, la présidente Tsai Ing-wen déclarait que « la communauté internationale considère Taïwan comme une réussite démocratique, un partenaire fiable et une force du bien dans le monde ». Comment expliquer cette popularité ? Que représente Taïwan aux yeux du monde en 2021 ?

A. Bondaz  : On assiste à une prise de conscience, en Europe, de l’importance de Taïwan ainsi qu’à la fin d’une forme d’invisibilisation de l’île. En témoignent, à deux échelles différentes, le lancement par la Fondation pour la recherche stratégique d’un programme de recherche dédié aux questions de diplomatie et de sécurité liées à Taïwan en 2020 — le premier de ce type dans un think tank en Europe — ou encore l’inclusion de Taïwan dans la stratégie de coopération en Indopacifique de l’Union européenne en septembre 2021.

Taïwan attire de plus en plus l’attention d’un monde qui le considère comme un exemple, voire un modèle, que ce soit dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, le maintien de son modèle de croissance, la promotion des valeurs démocratiques, la lutte contre les ingérences numériques ou encore l’investissement dans les technologies émergentes, dont les semi-conducteurs.

Le pays s’illustre en effet dans les classements internationaux. Selon l’index de démocratie publié chaque année par The Economist, l’île était, en 2020, une « démocratie à part entière », le 11e pays le plus démocratique au monde et le plus démocratique en Asie de l’Est. Dans le classement annuel du Forum économique mondial en matière de compétitivité, Taïwan était au 12e rang, en 2019, devant la Corée du Sud, le Canada et la France. Taïwan est également reconnu comme étant le 5e pays avec le plus grand potentiel d’innovation économique au monde devant Singapour, selon un indice publié par Bloomberg Economics.

Enfin, notons que la couverture médiatique de Taïwan est également sans précédent. Si on utilise la récurrence de la mention de Taïwan dans l’ensemble des articles publiés par quatre médias entre 2019 et 2020, alors la hausse du nombre d’articles est de +149 % pour l’AFP, +464 % pour Le Figaro, +54 % pour le New York Times et +146 % pour CNN. L’année 2021 marquera certainement un nouveau record.

Selon le ministre taïwanais des Affaires étrangères, Joseph Wu, « la Chine ne cesse jamais de chercher à étouffer Taïwan sur la scène internationale ». Aujourd’hui, seulement 14 pays reconnaissent la République de Chine (Taïwan). Qui sont-ils et pourquoi continuent-ils à reconnaître Taïwan malgré les pressions de Pékin, qui a réussi à convaincre une douzaine de pays de mettre un terme à leurs relations diplomatiques depuis 2000 ?

Taïwan n’a en effet de relations diplomatiques qu’avec 14 pays, principalement en Amérique latine (Bélize, Guatémala, Honduras et Paraguay), dans les Caraïbes (Haïti, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines) et dans le Pacifique (îles Marshall, Nauru, Palaos, et Tuvalu), pays auxquels il faut ajouter l’Eswatini, en Afrique, et le Vatican, en Europe. Comme tout chef d’État, Tsai Ing-wen réalise régulièrement des visites à l’étranger : au royaume d’Eswatini en avril 2018, au Paraguay en août 2018, à Palau, à Nauru et aux îles Marshall, en mars 2019 — dans le cadre d’une visite appelée « Océans de démocratie » — ou encore à Haïti, à Saint-Kitts-et-Nevis, à Saint-Vincent-et-les-Grenadines et à Sainte-Lucie, en juillet 2019, avec des escales remarquées à New York et Denver aux États-Unis (1).

Depuis 2000, les pressions ou incitations chinoises ont convaincu une douzaine de pays de mettre un terme à leurs relations diplomatiques avec la République de Chine, pour en établir avec la République populaire de Chine. Six d’entre eux l’ont fait au cours du premier mandat de Tsai Ing-wen, entre 2016 et 2020 : Kiribati et îles Salomon (en 2019), la République dominicaine et El Salvador (en 2018), Panama (en 2017) et Sao-Tomé-et-Principe (en 2016). Il faut reconnaître que pour un grand nombre de pays, développer des relations officielles avec la Chine permet d’obtenir des financements et des subventions chinoises, tout en facilitant les échanges économiques, ce qui est une incitation évidente. Rappelons ici que la France a mis fin à ses relations diplomatiques avec Taipei en 1964, plusieurs années après le Royaume-Uni (1950) mais bien avant les États-Unis (1979) ou encore la Corée du Sud (1992).

Cette tendance à la réduction du nombre de pays ayant des relations diplomatiques avec Taïwan est ancienne, Pékin ayant davantage de relations diplomatiques que Taipei depuis le début des années 1970, et elle devrait se poursuivre. Taïwan n’est pour autant pas isolé et entretient des relations avec de très nombreux pays. L’ouverture, en décembre 2020, du Bureau annexe d’Aix-en-Provence du Bureau de représentation de Taipei en France, puis en novembre 2021 du Bureau de représentation taïwanais en Lituanie, vient compléter un réseau diplomatique dense de 111 postes diplomatiques à l’étranger. Ce réseau est bien loin d’égaler ceux de la Chine (276 postes), des États-Unis (273 postes) et de la France (267 postes) — les trois plus importants au monde selon le Lowy Institute Global Diplomacy Index (2019).

Ainsi, le réseau diplomatique taïwanais, malgré des contraintes internationales sans équivalent, est le 31e au monde, devant ceux de la Malaisie (107 postes), de la Suède et d’Israël (104 postes), et de la Norvège (99 postes). Il est le 8e réseau diplomatique des pays de l’Indopacifique, juste derrière ceux de l’Australie (118 postes) et du Pakistan (117 postes).

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