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Penser les opérations. Bilan opérationnel d’un quinquennat

Du point de vue de l’emploi des forces armées, le quinquennat du président Emmanuel Macron est singulier dans la Ve République. Il s’inscrit dans la continuité de ses deux prédécesseurs qui ont fait entrer la France dans la guerre ouverte contre les organisations salafo-­djihadistes, mais il constitue aussi peut-être le début de la fin de cette guerre alors qu’apparaissent de nouveaux défis. On parlera sans doute à l’avenir de période de transition sans que l’on sache encore bien à ce jour vers quoi.

À l’apogée de la guerre

Il a appartenu au président Sarkozy de commencer à faire sortir la France d’une longue période de maintien de l’ordre international, qu’il s’agisse de la guerre contre les « États-voyous » et des opérations de police, c’est-à‑dire utilisant la force sans ennemi désigné, qu’elles soient humanitaires armées, d’interposition ou de stabilisation. En 2011, la guerre contre le régime du colonel Kadhafi est la dernière de la première catégorie et, en abandonnant la neutralité pour appuyer le camp du président élu Alassane Ouattara, Nicolas Sarkozy met également fin de fait à l’opération « Licorne » en Côte d’Ivoire, mais aussi à toutes les opérations d’interposition, à l’exception de l’éternelle mission au Sud-Liban.

D’un autre côté, en 2008, le même président Sarkozy fait entrer les forces françaises dans la guerre contre des organisations armées, non plus seulement en appuyant les États qui les combattent, mais en s’engageant directement et à grande échelle contre elles en Afghanistan, dans la province de Kapisa et le district de Surobi. On renoue ainsi avec un mode opératoire abandonné depuis 1979 au Tchad. Cette évolution majeure aurait pu se terminer avec le retrait de l’Afghanistan, mis en œuvre par François Hollande, mais celui-ci la conforte au contraire en engageant à son tour les forces françaises directement au combat contre les organisations djihadistes dans le nord du Mali en janvier 2013. Le président Hollande n’abandonne cependant pas tout de suite les procédés de l’époque post-guerre froide en engageant aussi, au mois de décembre suivant, les soldats français dans une opération de stabilisation en Centrafrique. L’opération « Sangaris » se révèle beaucoup plus difficile qu’anticipé, ce qui témoigne qu’il s’agissait là désormais d’une anomalie. Terminée en 2016, plus de deux ans après la date annoncée, l’expérience de la stabilisation n’a plus été tentée depuis.

La singularité de la présidence Hollande réside surtout dans l’extension donnée en 2014 à la version française de la « guerre globale contre le terrorisme », en étendant le périmètre de la lutte au Sahel avec l’opération « Barkhane », en rejoignant la coalition dirigée par les États-Unis pour lutter contre l’État islamique (opération « Chammal ») en Irak puis, tout au début de janvier 2015, en portant à 10 000 le nombre de soldats engagés sur le territoire national dans le cadre de l’opération « Sentinelle », et le tout en continuant à diminuer les ressources des armées.

Le point de rupture est atteint en 2015. Ce déploiement maximal, visant trop de publics (alliés locaux, États-Unis, opinion) autres que l’ennemi et prenant assez peu de risques au combat, n’empêche en rien l’État islamique de poursuivre son extension et d’organiser des attentats en France. Il n’empêche pas non plus le retour en force des organisations djihadistes au Sahel.

Dans le même temps, la saisie de la Crimée par la Russie et la guerre dans le Donbass font apparaître de nouvelles tendances, alors que nos forces armées sont à la fois affaiblies et fixées. Tout cela a le mérite d’entraîner l’arrêt des suppressions d’effectifs et l’inversion de la tendance budgétaire, mais la situation opérationnelle est bloquée.

Déligoter Gulliver

En accédant à la présidence en mai 2017, Emmanuel Macron endosse à son tour pleinement le rôle de chef des armées. Il change même l’appellation du ministère de la Défense, qui redevient celui des Armées, c’est-à‑dire de l’outil alors que la fonction est clairement assumée à l’Élysée. À l’exception du hiatus du premier exercice budgétaire du quinquennat où le budget des armées diminue de nouveau, la politique de redressement est maintenue.

Pour autant, alors que l’emploi de la force armée n’a jamais été aussi décomplexé depuis la fin de la guerre d’Algérie, Emmanuel Macron est le premier président depuis Georges Pompidou à ne pas lancer de nouvelle opération extérieure. C’est en partie parce qu’il n’a plus les moyens de le faire, mais c’est surtout parce que ce n’est pas nécessaire, ce qui montre que l’on se trouve peut-être sur un « plateau stratégique ». Tout son effort porte sur la sortie, si possible victorieuse, des trois grandes opérations « collantes » en cours et le début de réorientation vers les nouveaux défis.

Du côté de l’opération « Chammal », cela réussit plutôt. Face à l’État islamique, les États-Unis ont modelé fin 2014 une intervention en deux axes avec, d’un côté, l’appui et le soutien aux forces armées des structures politiques locales alliées et, de l’autre, une campagne autonome de raids et de frappes. La France s’est intégrée à ces modes opératoires en déployant une force aérienne de 10 à 14 chasseurs-­bombardiers, une structure de formation des forces irakiennes et un groupement de forces spéciales (Hydra) déployé auprès des forces kurdes. On y ajoutait une batterie d’artillerie en septembre 2016. L’ensemble était performant, mais modeste, représentant entre 5 et 10 % de l’effort total de la coalition, qui lui-même n’était pas décisif puisque l’atteinte de l’effet majeur, la prise de la douzaine de bastions tenus par l’État islamique, revenait aux forces locales. C’était limiter les risques pour ses propres soldats, mais c’était se condamner aussi à une longue guerre.

Au printemps 2017, néanmoins, on croit toucher à la fin puisque Mossoul est investie et que Raqqa, l’autre capitale de l’État islamique, ne va pas tarder à l’être. On se contente donc de continuer à faire la même chose. En réalité, bien au-­delà des estimations initiales, il faut attendre mars 2019 pour mettre fin à l’État islamique comme territoire, ce qui ne met pas fin à la guerre, l’organisation poursuivant le combat clandestinement. Première inflexion d’une opération de la part du nouveau président, on transforme l’opération « Chammal ». La France retire au début de 2019 son groupement d’artillerie et les équipes de formateurs, mais maintient quelques conseillers dans les états-­majors irakiens, des forces spéciales et surtout sa force de frappe de 11 Rafale en réserve d’intervention. L’opération « Chammal » continue donc, mais elle est plus que jamais une opération de présence du drapeau tant notre influence sur les évènements est faible.

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