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L’exemple de Gis Art Artillery. L’innovation par le bas, vainqueur en Ukraine ?

Dès lors, le système résout la contradiction entre un réseau maillé – qui s’appuie sur des logiques d’Aufragstaktik – et de hiérarchie, qui s’appuie sur le commandement par le plan. Ces aspects théoriques ont des implications opérationnelles majeures. Il est ainsi possible de frapper de manière distribuée, y compris sur de larges formations adverses. Autrement dit, en tenant compte des caractéristiques du système, plusieurs unités de feu éparpillées peuvent être facilement coordonnées pour frapper des cibles au même moment. La plupart des artilleries nationales s’entraînent à ce genre d’actions, qui confine à une action en essaim (swarming), mais l’art est difficile, du fait justement des impératifs de coordination pour obtenir une arrivée sur l’objectif des différents obus au même moment. Le Gis Art for Artillery semble le permettre, d’une manière plus souple. Le fait que le système soit par ailleurs distribué en application a également d’autres implications tactiques, tout aussi importantes.

En temps normal, l’artillerie opère par batteries, avec un certain nombre d’obusiers ou de lance-­roquettes multiples regroupés, essentiellement pour des raisons liées à la logistique et au commandement. Or, un système de commandement qui peut être distribué et qui peut allouer à chaque chef de pièce ses missions de manière individuelle permet de disperser les pièces. La notion de batterie est donc relativisée. Elle devient virtuelle, en étant dispersée sur de plus grandes superficies. Conséquence logique, la contre-­batterie adverse devient bien plus difficile : il ne s’agit plus de traiter une seule cible regroupant plusieurs pièces d’artillerie, mais plusieurs cibles. La survivabilité est donc considérablement améliorée.

C’est d’autant plus le cas que les communications elles-­mêmes sont susceptibles de transiter via le système par satellite Starlink, dont plus de 10 000 terminaux ont été expédiés en Ukraine – un système dont le terminal a une fonctionnalité wifi. Dans un certain nombre de cas, il est donc possible de se passer d’une connexion 4G. Tout n’est pas encore clair sur les modalités de fonctionnement du système ou encore sa vulnérabilité à des actions cyber. Affecter la méthode de calcul des coordonnées de tir permettrait ainsi d’éviter que les frappes ne fassent coup au but. Dans le même temps, l’Ukraine montre aussi un des environnements les plus denses en termes de compétences informatiques. Au-delà de ces inconnues, on ne peut nier la valeur innovante du Gis Art for Artillery. L’application a ainsi permis à l’Ukraine de disposer d’un des systèmes de commandement d’artillerie les plus efficaces au monde, pour un coût extrêmement faible. Au regard d’une guerre où l’artillerie joue justement un rôle central, l’apport n’est pas mince et cette expérience devrait être étudiée avec attention par nombre d’armées…

Notes

(1) Eduard Kovacs, « Experts doubts Russia used malware to track Ukrainian troops », Security Week, 3 janvier 2017 (https://​www​.securityweek​.com/​e​x​p​e​r​t​s​-​d​o​u​b​t​-​r​u​s​s​i​a​-​u​s​e​d​-​m​a​l​w​a​r​e​-​t​r​a​c​k​-​u​k​r​a​i​n​i​a​n​-​t​r​o​ops).

(2) Voir notamment son fil Twitter du 10 mai, précis sur certains points, moins sur d’autres (https://​twitter​.com/​T​r​e​n​t​T​e​l​e​n​k​o​/​s​t​a​t​u​s​/​1​5​2​3​7​9​1​0​9​1​1​7​4​3​5​9​041).

Légende de la photo en première page : Le smartphone apparaît comme l’un des principaux facilitateurs des guerres modernes, tant pour des fonctions de communication et de commandement que pour des fonctions d’influence. (© Bumble Dee/Shutterstock)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°84, « Guerre en Ukraine : les premières leçons », Juin-Juillet 2022 .
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