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Les espaces maritimes, nouveaux territoires de la sécurité internationale

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), qui fête ses 40 années d’existence en 2022, a pourtant instauré des règles permettant de délimiter les espaces maritimes ainsi que les droits et obligations des États côtiers. Il faut admettre que celles-ci sont complexes et certains États comme le Brésil, l’Inde ou la Chine en ont adopté des interprétations diverses.

La CNUDM distingue trois types de territoires en mer : les eaux territoriales, qui s’étendent sur 12 milles marins à partir de la côte, et qui s’accompagnent d’un droit de « passage inoffensif » pour les navires de pavillons étrangers ; une zone de police contiguë, qui s’étend sur 12 milles supplémentaires ; une zone économique exclusive (ZEE), qui s’étend jusqu’à 200 milles marins (soit 370 km) du littoral. La délimitation de ces frontières liquides figure au premier plan des questions qui alimentent les différends.

Cette tendance à l’appropriation fait que le principe de la liberté des mers, prônée par le juriste hollandais Grotius au XVIIe siècle, apparait de plus en plus contestée. La CNUDM s’est pourtant efforcée de trouver un compromis entre ce principe et les États côtiers soucieux d’affirmer leur souveraineté sur leurs espaces maritimes. Ainsi, si la liberté de navigation en haute mer a pu être préservée, la mise en place de délimitations maritimes a favorisé des litiges entre États désireux d’accroitre leur potentiel économique et stratégique et favorisé un phénomène de territorialisation des mers.

Autres espaces maritimes très convoités, les grands fonds représentent un enjeu géopolitique de taille. La France s’est dotée d’une stratégie de grands fonds en février 2022 (1) comme l’ont fait avant elle la Chine, les États-Unis ou le Royaume Uni. Ce document souligne qu’il n’est pas seulement important de pouvoir intervenir à de très grandes profondeurs, mais également de pouvoir surveiller ce qui s’y passe, en particulier autour des câbles sous-marins et des ressources minérales. Comme l’espace et le cyberespace, les profondeurs représentent un champ de conflictualité potentielle. De par les ressources naturelles qu’elles recèlent — dont les métaux rares —, elles suscitent de plus en plus de convoitises.

Navalisation et rivalités de puissance en mer

Les pays du monde entier améliorent leurs marines et intensifient leurs activités en mer. Cela inclut la Chine, qui a réalisé en très peu d’années des avancées qualitatives et quantitatives de son outil naval, mais aussi l’Inde, le Japon, la Corée du Sud ou la Turquie. La tendance est à la production d’unités polyvalentes intégrant les nouvelles technologies critiques (drones, robotique, intelligence artificielle) appelées à être mises en œuvre dans les conflits du futur.

La Chine appartient désormais au groupe restreint des marines disposant de porte-avions — un troisième sera bientôt mis à l’eau — et de sous-marins nucléaires. Les réalisations chinoises et la mise en œuvre de stratégies anti-accès cherchent notamment à affaiblir la dissuasion militaire des États-Unis dans la région, ce qui a conduit certains États à s’interroger sur la capacité d’intervention de Washington en cas de conflit de haute intensité impliquant la Chine. Le scénario d’une crise dans le détroit de Taïwan est dans de nombreux esprits depuis l’agression russe de l’Ukraine. Ces rivalités incluent des efforts pour obtenir l’accès à des ports et à des facilités de stationnement, car si pour l’heure la Chine ne possède qu’une seule base navale à l’étranger avec Djibouti, elle s’efforce, comme la Russie ou l’Inde, d’étendre sa présence dans l’Indo-Pacifique. Fait nouveau, elle propose des partenariats économico-sécuritaires aux États du Pacifique Sud, dont certains sont peu disposés à amorcer une coopération policière ou dans le domaine de la sécurité maritime avec Pékin.

Cette recherche du statut de puissance navale va au-delà d’ambitions étatiques et touche l’Europe, elle-même soucieuse de s’affirmer comme un acteur global de la sécurité maritime. Elle a d’ailleurs réussi à se construire une légitimité dans ce domaine. Elle peut s’appuyer sur sa stratégie de sûreté maritime (SSMUE) adoptée en 2014 et sur le plan d’actions, révisé en 2018, qui en découle. L’Union européenne s’est également dotée de stratégies régionales, dont celle sur le golfe de Guinée, puis en 2021 sur l’Indopacifique, suivant en cela l’exemple d’États membres comme la France, l’Allemagne et les Pays Bas. L’Union européenne s’est déjà montrée capable de mobiliser efficacement des moyens d’actions, face aux trafics en tous genres par voie maritime (migrants, armes, stupéfiants). Elle reste d’ailleurs engagée face à la piraterie et à l’insécurité maritime dans l’Ouest de l’océan Indien, où l’opération « Atalante » déployée depuis 2008 lui permet d’élargir ses partenariats grâce à une diplomatie navale très active.

À propos de l'auteur

Marianne Peron-Doise

Chercheure associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), où elle dirige l’Observatoire géopolitique de l’Indopacifique, et chargée de cours à Sciences Po Paris.

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