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Ressources halieutiques : l’avenir de la sécurité alimentaire se joue en mer

Comme il s’est depuis toujours arrogé l’espace terrestre pour assurer sa subsistance, l’Homme s’est aussi approprié l’espace maritime pour se nourrir : pêche, récolte, aquaculture… Si cette tendance s’est imposée depuis des millénaires, aujourd’hui, la croissance démographique et l’essor considérable de la mondialisation l’ont rendu pleinement tributaire et dépendant de la mer pour subvenir à ses besoins alimentaires.

Dans un contexte global de croissance constante de la demande en produits halieutiques — +3 % par an depuis 50 ans —, la production mondiale a dû, au fil des années, s’adapter, souvent au détriment de la préservation des ressources elles-mêmes. La consommation annuelle moyenne de produits de la mer par habitant est ainsi passée de 9 kg en 1960 à près de 21 kg en 2020 à l’échelle mondiale. Un chiffre qui culmine à 50 kg par an et par habitant au Japon, atteint les 22 kg à l’échelle européenne et descend à 5 kg pour l’Inde — un Français métropolitain consommera 33,5 kg de ces produits par an, contre 47 kg pour un Français de Polynésie ! À l’échelle mondiale, la consommation de poisson a augmenté de 122 % entre 1990 et 2020. La production doit donc tenir le rythme de cette demande qui ne cesse d’augmenter.

La pêche : toujours plus loin, toujours plus profond, toujours plus

Aujourd’hui, plus d’un milliard et demi d’êtres humains vivent sur les côtes et font des produits de la mer leur principale source de protéines. De plus, l’émergence de consommateurs issus de la classe moyenne, notamment dans les pays en voie de développement, et leur augmentation au niveau mondial — 3,5 milliards d’individus en 2017 pour près de 5 milliards prévus d’ici 2030 — entraînent indubitablement une forte hausse de la demande en produits halieutiques. C’est pourquoi la pêche s’est peu à peu industrialisée, mondialisée. La Chine s’impose aujourd’hui comme le principal producteur de pêche, devant l’Indonésie, les États-Unis ou la Russie. Si la pêche a longtemps été artisanale, l’empire du Milieu en a fait une industrie à l’échelle planétaire. Les gigantesques bateaux-usines — principalement chinois, mais aussi coréens ou indonésiens — comptabilisent à eux seuls 50 % des captures mondiales, dépossédant certaines zones maritimes de leurs ressources halieutiques, notamment la mer de Chine méridionale, mais aussi le golfe de Guinée, menaçant la sécurité alimentaire des populations du littoral. C’est dans le courant des années 1990, à la suite de l’épuisement de ses ressources locales, que la Chine s’est constituée en grande nation de pêche en dehors de ses eaux. L’export de ses flottes de pêche semi-industrielle s’est donc déployé dans les océans Pacifique, Indien et Atlantique, pour se moderniser considérablement au début des années 2000. Les bateaux chinois ciblent un très grand nombre d’espèces, essentiellement démersales (1) et benthiques (2), mais également des espèces plus petites dans le but d’en faire des farines et huiles pour l’alimentation des animaux d’élevage (poissons, poulets, porcs…). Quadrillant l’ensemble de la planète, la flotte de pêche chinoise surpasse toutes les autres, tant par son envergure que par son rayon d’action. Pour Pékin, elle joue un rôle crucial, à la fois pour nourrir sa population mais aussi pour placer ses pions sur l’échiquier géopolitique international. En effet, c’est dans une volonté politique expansionniste que la Chine a développé une frénésie de construction navale, et s’est créé la plus grande flotte de pêche au monde. Une pêche qui prend de plus en plus des airs d’activité illicite…

La pêche dite « INN » (illicite, non déclarée et non réglementée) est devenue ces dernières années un véritable fléau à la fois pour les populations locales qui voient leurs ressources pillées, pour les espèces surexploitées et menacées mais aussi pour l’environnement marin. Or, on présume qu’environ 40 % des poissons vendus dans le monde sont pêchés de manière illégale (3). En effet, certaines espèces parfois menacées sont très lucratives et font l’objet de capture puis de trafic illégal. La FAO estime, dans son rapport SOFIA 2020, que 34 % des stocks mondiaux de poisson sont surexploités et que 67 % des stocks sont exploités à leur niveau durable maximal. Or, en plus de cette pêche à outrance, des pratiques douteuses restent monnaie courante dans certains pays ou pour quelques pêcheurs peu scrupuleux : utilisation du cyanure, d’explosifs ou encore de filets électriques pour étourdir, paralyser ou même tuer plus facilement les poissons… Si beaucoup de pays occidentaux ont interdit ces pratiques, elles sont encore observables dans certaines régions du monde comme l’Asie du Sud-Est, mais aussi en Turquie ou à Malte (notamment pour la pêche à la dynamite). D’autres techniques, comme le chalut de fond qui laboure les sols marins, sont très décriées pour leur impact environnemental, bien qu’elles soient encore régulièrement d’usage.

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