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La diplomatie publique au service de l’influence des États

Séduire l’opinion mondiale : démocraties ou dictatures, tous les États s’efforcent de soigner leur image en s’adressant directement et à voix haute aux citoyens. Pour cela, la diplomatie publique constitue un levier de puissance de plus en plus fréquemment utilisé. Quels sont les moyens de cette action au service de l’influence et en quoi se différencie-t-elle du soft power et de la propagande ?

L’interrogation sur la puissance est inhérente aux relations internationales. Les débats contemporains en fournissent la preuve. La Chine, mais aussi l’Inde, sont l’objet d’interrogations récurrentes au sujet du type de puissance qu’elles cherchent à développer. On se demande aussi régulièrement si la Russie, héritière amputée de l’Union soviétique, est encore une puissance. Et les considérations sur l’autonomie stratégique de l’Union européenne, qui n’est pas un État mais une fédération d’États, renvoient toujours à la même question : quelle puissance les 27 représentent-ils dans le monde et plus encore, d’une manière prospective et prescriptive, quelle puissance veulent-ils être ? Les théoriciens des relations internationales distinguent généralement plusieurs stratégies à la disposition d’un pays ou d’un groupe de pays pour assurer sa puissance. Le chercheur américain Joseph Nye a résumé ces stratégies en affirmant que la puissance d’un pays peut être obtenue soit par la coercition (la pratique du bâton), soit par l’incitation ou la rétribution (la pratique de la carotte), soit enfin par l’attraction et la persuasion (2). Cette dernière stratégie, qui consiste, pour un pays, à être puissant en se servant de son attractivité et de sa capacité de persuasion, est ce que Joseph Nye appelle le «  soft power », parfois traduit en français par « le pouvoir de convaincre » ou encore « la puissance discrète ».

Soft power et diplomatie publique : quelles différences ?

Le soft power ne découle pas nécessairement d’une politique volontariste orchestrée par l’État. Il se distingue en cela de la diplomatie publique qui est un acte rationnel et calculé de médiation. Dans les pays démocratiques (c’est moins vrai dans les pays autoritaires), le soft power résulte des actions produites par des acteurs sociaux qui ont le plus souvent une autonomie de décision par rapport à l’État. Prenons l’exemple des universités américaines. À la différence de la France, la promotion du système d’enseignement supérieur donne lieu à très peu d’efforts de la part de l’État fédéral américain. Si les universités américaines, en particulier les plus réputées de la Ivy League, contribuent au soft power américain, c’est grâce à leurs ressources financières propres, à la qualité de leurs enseignants, de leur recherche, et au dynamisme de leurs réseaux d’anciens élèves. L’attractivité d’un pays ne dépend donc pas de la seule action volontariste de l’État, mais aussi des réalisations de nombreux acteurs non étatiques qui contribuent, par leurs actions dispersées, à forger un modèle national.

À la différence du soft power qui décrit un état de fait, la diplomatie publique — que l’on appelle « diplomatie d’influence » en France et au Québec — est donc la construction volontariste d’une médiation par une autorité politique. Cette dernière est le plus souvent un État, mais peut aussi être une organisation internationale (l’Union européenne ou l’OTAN ont des diplomaties publiques) ou encore un gouvernement infra-étatique. Dans ce dernier cas, la diplomatie publique accompagne la projection internationale d’entités non souveraines, que la littérature des relations internationales définit comme étant de la paradiplomatie. La Généralité de Catalogne a ainsi développé une diplomatie publique depuis le retour de l’Espagne à la démocratie en 1978 ; elle a servi à promouvoir d’abord le projet autonomique, puis le projet indépendantiste.

Des formes de diplomatie publique ont toujours existé dans la pratique des États, même si elles prirent pendant longtemps d’autres dénominations, comme par exemple celle d’« information ». Dans son étude sur l’ambassade de France à Berlin de 1871 à 1933, l’historienne Marion Aballéa montre que, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, les diplomates français ont entretenu un contact régulier avec les journalistes berlinois pour faire passer le message que la France ne perdait pas de vue la « francité » de l’Alsace et de la Lorraine (3). Dans le contexte de la guerre froide, le président Dwight D. Eisenhower établit en 1953 l’Agence d’information des États-Unis, destinée à contrer l’expansion du communisme en promouvant le modèle libéral américain dans le monde. Les travaux sur la diplomatie publique attribuent toutefois à l’ancien ambassadeur américain Edmund Gullion, devenu doyen de la Fletcher School of Law and Diplomacy à l’Université Tufts de Boston, la paternité du terme « diplomatie publique » en 1965. Il s’agit de « l’influence des attitudes du public sur la formation et l’exécution des politiques étrangères. La diplomatie publique englobe les dimensions des relations internationales au-delà de la diplomatie traditionnelle : le suivi de l’opinion publique dans d’autres pays ; l’interaction des groupes et intérêts privés d’un pays avec ceux d’un autre ; la communication de la politique étrangère et son impact sur la politique d’un autre pays ; la communication entre les diplomates et les correspondants de presse étrangers ; et les processus de communication interculturelle » (4). Avec Edmund Gullion, le terme « diplomatie publique » donne naissance à un département spécialisé au sein du département d’État et devient une option de spécialisation lors du concours de recrutement des diplomates américains. De nombreux ministres des Affaires étrangères dans le monde créent à leur tour une unité spécialisée dans la diplomatie publique. Ce n’est en revanche jamais le cas en France, même si les pratiques que décrit le terme y sont mises en œuvre depuis fort longtemps. Il faut attendre les années 2000 pour voir apparaître en France, au sein du Quai d’Orsay, le terme « diplomatie d’influence » qui est en fait l’équivalent de « diplomatie publique ».

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