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Mali : entre coups d’État et départ de « Barkhane »

Entre les dérives autoritaires d’un régime militaire, arrivé au pouvoir par la force en août 2020 dans un contexte de mouvement populaire contre le président Ibrahim Boubacar Keïta (2013-2020), et le départ de la mission française « Barkhane » (2014-2022), le Mali s’enlise dans une crise politique profonde. Pendant ce temps, la menace djihadiste, originellement concentrée dans le Sahel, se diffuse en Afrique de l’Ouest.

e putsch du 24 mai 2021, le second en moins d’un an, et l’annonce du report des élections prévues en février 2022 signent l’entrée du Mali dans une nouvelle ère. La crise est sur tous les plans. La phase de transition post-août 2020 a accouché d’un gouvernement militaire autoritaire, tandis que le retrait de « Barkhane » et la montée de l’hostilité à l’égard de la présence étrangère laissent augurer des changements d’alliance.

Échec de la stabilisation politique du pays 

Les deux coups d’État intervenus en août 2020 et mai 2021 illustrent l’incapacité des autorités à stabiliser le pays. En mai 2021, le président Bah N’Daw, lui-même colonel-major, est renversé par l’armée, seulement neuf mois après la démission contrainte d’Ibrahim Boubacar Keïta. Les processus se ressemblent et les acteurs sont identiques, les deux putschs ayant été menés par le colonel Assimi Goïta. Mais l’échec de la stabilisation s’explique par deux facteurs distincts. D’une part, la phase de transition du premier coup d’État n’a pas permis de rassembler des forces politiques ou sociales capables d’incarner les aspirations aux changements, laissant les mains libres aux militaires. D’autre part, la rapidité du second coup et les motifs invoqués (remaniement ministériel écartant certains colonels) ont pour cause la pérennité de la présence militaire au sein de la sphère politique.

À long terme, le report des élections et l’annonce du maintien au pouvoir de l’armée jusqu’en 2027 laissent entrevoir des dérives, toute action punitive de l’État étant dorénavant justifiée par l’urgence du projet de reconstruction du pays. Autocensure des intellectuels et des acteurs civils, rétrécissement de l’espace civique, interdiction des médias, intimidations et pressions politiques sont le signe de la mise en place d’une dictature. Cette évolution suscitant peu le rejet de la population, lasse des échecs passés, des promesses démocratiques non tenues et des scandales de corruption, la gestion du pouvoir ne s’en trouve que renforcée.

Inquiétudes sécuritaires

La menace djihadiste est toujours présente au Mali. Les forces de sécurité étrangères (françaises, européennes et onusiennes) n’ont pas réussi à endiguer les principaux groupes islamiques armés. À Bamako, l’amélioration relative de la situation sécuritaire est temporaire et dépend de la junte, alors que les exactions contre les civils dans la région augmentent : en 2021, 833 actes de violence islamiste ont été identifiés au Mali, au Burkina Faso et au Niger, un chiffre record (1). Le bilan de l’opération « Barkhane » apparaît plus que mitigé.

Dans ce contexte, le pays s’engage dans une nouvelle stratégie en rupture avec ses alliés traditionnels. Les autorités ont ouvert la possibilité d’un dialogue avec les djihadistes, notamment le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), en plus des accords locaux passés avec les différents mouvements terroristes par les autorités locales. La position du régime vis-à-vis du GSIM est justifiée par la stabilisation du pays face à l’échec des forces étrangères. À cela s’ajoute le rapprochement avec la Russie, les autorités cherchant une alternative à la présence occidentale. Le Mali est à l’aune d’un réel changement sécuritaire dont les aboutissants sont difficiles à prévoir en raison de la rupture qu’il représente.

Par ailleurs, la menace djihadiste traverse une phase de mutation (2). Au Mali, le positionnement des groupes s’est déplacé du nord (région de Kidal) vers la zone des trois frontières (Mali-Burkina Faso-Niger), dont la nature poreuse facilite les mouvements des individus et des échanges vers les voisins, qui servent de base arrière aux exactions. Et les pressions et le contrôle exercés sur les régions qui entourent Bamako (Sikasso, Kayes et Koulikoro) laissent entrevoir un encerclement de la capitale. De plus, les djihadistes progressent en direction des espaces côtiers de l’Afrique de l’Ouest. Cette extension est d’autant plus inquiétante qu’elle se nourrit de fragilités internes propres à chaque pays (accès aux ressources, tensions intercommunautaires ou présence de réseaux criminels), rendant l’identification des groupes et de leurs revendications plus difficile. Pour ces derniers, un État est un territoire à contrôler, un espace d’opération et/ou une base de recrutement, le facteur religieux n’étant finalement pas déterminant. 

Notes

(1) Anouar Boukhars, « Trajectoires de la violence contre les civils par les groupes islamistes militants d’Afrique », Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 18 février 2022.

(2) Mathieu Pellerin, « Les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest : Nouvelles terres d’expansion des groupes djihadistes sahéliens », IFRI, février 2022.

La menace djihadiste au Mali
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