Magazine DSI

Rosoboronexport(e) plus ?

Il est impossible de prédire actuellement où cette guerre mènera la Russie et où son escalade actuelle s’achèvera temporairement et/ou définitivement. Néanmoins, il est un fait que le secteur de l’industrie de la défense russe ainsi que de ses débouchés à l’exportation ne vont certainement pas en ressortir indemnes. Difficultés d’approvisionnement en composants, priorité accordée aux besoins de l’armée russe, perte de crédit (réelle ou supposée) des productions russes, besoin de reconstituer les stocks, mobilisation d’une partie du personnel pour partir sur le front et perte de clients étrangers qui réduira les moyens financiers pouvant être alloués au secteur : même si l’État russe est en mesure de compenser (temporairement) ces pertes et difficultés, cela ne durera pas. Or, malgré la taille et l’importance du secteur de l’industrie de la défense au sein de l’économie russe, mais également (et surtout !) la fonction sociale de celui-ci (entre 2,5 et 3 millions d’électeurs russes potentiels), le gouvernement russe ne semble pas vouloir prendre la pleine mesure des conséquences politiques et sociales qu’auraient un ralentissement, voire un arrêt de celui-ci. La perte d’emploi de tout ou partie du personnel travaillant dans le secteur de l’industrie de la défense pourrait rompre le contrat social tacite (19) existant entre la population russe et ses dirigeants, ce qui serait d’autant plus dommageable dans une société russe où l’image de l’armée, élément structurant de la rhétorique gouvernementale, est déjà sérieusement écornée par ses contre – performances en Ukraine.

On en vient à croire que les leçons des premières années postsoviétiques n’ont pas été apprises et que là où les exportations avaient à l’époque permis de sauvegarder une partie de l’outil industriel et des compétences, il en va tout autrement cette fois-ci. D’autant plus dans un contexte où le secteur de l’énergie qui servait d’arme à Moscou dans le cadre de ses relations avec l’Occident est en cours de reconfiguration (lente) avec une bascule vers l’Est des approvisionnements énergétiques (Chine et Inde) à des tarifs réduits (diminuant d’autant les rentrées fiscales pour le budget fédéral russe) : les décisions prises par la Russie vont donc mettre les deux principaux secteurs de son économie (énergie et exportations de matériels militaires) sous fortes contraintes, avec à terme des effets qui pourraient bien être dévastateurs pour le pays. Plus encore que toute intervention militaire contre le pays en lui-même. 

Notes

(1) Contrairement à ce qui a souvent été écrit, le retrait des Indiens du programme FGFA (version locale du Su-57) n’a pas eu d’impact budgétaire sur le développement et la mise au point du Su-57. Son budget étant « sanctuarisé » par l’État russe.

(2) Pour les amateurs de chiffres, le site du SIPRI détaille in extenso les transferts d’armements dans le monde (https://​www​.sipri​.org/).

(3) Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act.

(4) https://​www​.congress​.gov/​b​i​l​l​/​1​1​5​t​h​-​c​o​n​g​r​e​s​s​/​h​o​u​s​e​-​b​i​l​l​/​3​3​6​4​/​t​ext

(5) Главное управление по заграничному снабжению (Littéralement : Direction principale de l’approvisionnement étranger).

(6) Главное инженерное управление (Département général d’ingénierie).

(7) Les estimations (selon les sources) font mention de 15 à 25 % du PIB consacré à l’armement de l’Union vers la fin de 1980 !

(8) https://​hal​-india​.co​.in/

(9) Sans être exhaustif, on peut citer : les T-90 et les frégates Talwar (11356) en Inde, les SSK 636 en Algérie, en Chine, au Vietnam et en Inde, etc.

(10) L’exportation du Flanker en Chine est une histoire longue et complexe qui nécessite de longs développements. À noter que cette commande a permis aux ingénieurs chinois d’acquérir très rapidement des technologies et des compétences… donnant naissance ensuite aux Shenyang J-11 et à leurs variantes.

(11) http://​roe​.ru/

(12) https://​rostec​.ru/

(13) Ce qui explique pourquoi la commande de Su-34 pour l’Algérie, régulièrement annoncée, ne s’est jamais concrétisée. 

(14) Cas du Su-30SM qui est dérivé du Su-30MKI indien.

(15) Les Su-30SM livrés à la Biélorussie ont été payés au même prix que les appareils livrés à la Russie.

(16) Des sources récentes (non vérifiées) font état que l’Iran récupérerait les Su-35 produits. Ceci reste encore à confirmer, mais n’est pas improbable.

(17) Dont on peut légitimement se dire que les Russes ont sauté sur l’occasion en proposant un tarif « amical » au pays, vu l’ampleur des conséquences politiques découlant de cette vente.

(18) https://​hindustannewshub​.com/​w​o​r​l​d​-​n​e​w​s​/​k​a​m​o​v​-​k​a​-​3​1​-​i​n​d​i​a​-​i​n​d​i​a​-​b​a​n​s​-​p​u​r​c​h​a​s​e​-​o​f​-​1​0​-​k​a​m​o​v​-​k​a​-​3​1​-​h​e​l​i​c​o​p​t​e​r​s​-​f​r​o​m​-​r​u​s​s​i​a​-​i​s​-​i​t​-​n​o​t​-​a​n​-​e​x​e​r​c​i​s​e​-​t​o​-​b​a​l​a​n​c​e​-​w​i​t​h​-​a​m​e​r​i​ca/

(19) Où le gouvernement russe fournirait un travail stable et correctement payé à ses citoyens en échange de l’acceptation tacite d’un grignotage progressif de leurs droits et de leurs libertés individuelles.

Légende de la photo en première page : Le siège d’Uralvagonzavod à Nizhny Tagil. La production de blindés souffre déjà du manque de pièces détachées et de composants électroniques. (© Serg_Zavyalov_photo/Shutterstock)

Article paru dans la revue DSI n°162, « Duels d’artillerie en Ukraine », Novembre-Décembre 2022.
0
Votre panier