L’objectif visant à faire retourner l’homme sur la Lune pour, à plus long terme, lui permettre de poser le pied sur Mars ne doit pas nous distraire d’une vérité essentielle : l’espace sera, dans les prochaines décennies, moins une affaire de conquête qu’un enjeu de domination et de suprématie. Et peut-être la dimension nouvelle de conflits futurs.
L’avenir. Tel était sans doute le fil rouge de l’allocution délivrée par le directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), Josef Aschbacher, à l’occasion de la World satellite business week, le 12 septembre 2022. Il y annonçait avoir sollicité auprès des États membres une enveloppe budgétaire supérieure à 18,7 milliards d’euros pour son institution ; ce qui aurait représenté une hausse de 25 % par rapport au précédent budget alloué. La réunion ministérielle des États membres des 22 et 23 novembre derniers aura finalement consenti à une enveloppe de 16,9 milliards d’euros. Bien que ce montant représente une augmentation de 17 % par rapport à son niveau de 2019, il est plus que probable qu’il ne suffira pas à permettre à l’Agence européenne d’affronter les défis à venir du secteur spatial dans un contexte inflationniste. Pour mieux se rendre compte de l’effort engagé par les États membres de l’ESA, il est utile de rappeler que le budget qui vient d’être attribué représente seulement 0,04 % du produit intérieur brut cumulé des États membres de l’ESA et seulement 20 % du budget de la NASA pour la même période.
Bien que maintes fois évoquée par le passé, la question de l’adéquation du budget de fonctionnement de l’ESA aux enjeux futurs se pose désormais avec une solennité nouvelle. Celle des programmes européens présents et futurs — Ariane 6 et 7, Vega-C, Galileo, Copernicus et dernièrement Iris2 — n’est pas moins critique, l’Europe spatiale semblant constamment rattraper un retard par rapport aux nouveaux compétiteurs du secteur (1). Celui-ci traverse en effet depuis plusieurs années une zone de mutations et de perturbations sans précédent. L’avenir n’est pas seulement constitué d’inconnues d’ordre technologique, il est en plus soumis à des incertitudes grandissantes sur les plans géopolitique et stratégique.
La ruée vers l’espace
Durant de nombreuses années, l’espace fut considéré comme un domaine sanctuarisé, voire invulnérable ; pour ainsi dire hors de portée, pensait-on, des troubles et des conflits survenant sur terre. Cette vision trompeuse a pu perdurer pour plusieurs raisons. La première est que l’activité spatiale relevait alors de la domination d’un groupe restreint de quelques puissances technologiques et scientifiques dont les politiques spatiales s’inscrivaient dans une grammaire commune, celle d’une exploitation et d’une exploration pacifique portée, notamment, par une coopération scientifique internationale à l’exemple de la station spatiale internationale (ISS). Une deuxième raison a trait à la nature principalement militaire des activités spatiales dont les principales réalisations résultaient de commandes gouvernementales et, plus encore, du secteur de la défense. Cette militarisation des moyens spatiaux constituait un facteur de stabilité, notamment dans le cadre d’une dissuasion nucléaire fortement codée entre les deux superpuissances. Une troisième raison était le coût prohibitif du « ticket d’entrée » pour accéder au club fermé des quelques États capables de concevoir, développer et mettre en œuvre des moyens spatiaux. Tout État désireux de se lancer dans la course à l’espace devait franchir un certain nombre de barrières d’ordre scientifique, technologique et industriel qui, prises ensemble, impliquaient la mobilisation d’importantes ressources budgétaires hors de portée de certains États. La prolifération technologique horizontale semblait ainsi encadrée. Enfin, une dernière raison était l’absence de perspectives pour l’appropriation des richesses de l’espace (2). Les luttes humaines ancestrales qui avaient cours sur terre pour la maîtrise des richesses se révélaient difficilement transposables dans le domaine spatial. Les deux décennies qui viennent de s’écouler ont fait voler en éclat chacun des paramètres qui viennent d’être évoqués.