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La politique étrangère allemande à la recherche de nouveaux repères

Alors que l’invasion russe de l’Ukraine a mis fin à la paix qui régnait sur le continent européen, ce conflit est ressenti et perçu en Allemagne comme une césure majeure qui pousse aujourd’hui Berlin à redéfinir sa politique étrangère, en particulier avec les États-Unis, la Chine et la Russie.

Qualifié par le chancelier Scholz de « changement d’époque » (Zeitenwende), le conflit en Ukraine marque la fin de l’après-guerre froide et, pour l’Allemagne, d’une période de trois décennies où elle avait le sentiment d’être entourée de pays partenaires et amis. Ce temps est révolu. Berlin doit revoir les fondements de sa politique étrangère, reposant – parallèlement à son ancrage dans l’Union européenne — sur un partenariat sécuritaire avec les États-Unis dans lequel l’Allemagne a peu investi depuis 1990, une coopération énergétique avec la Russie qui lui a fourni des hydrocarbures à un prix peu élevé (lui permettant d’achever la sortie du nucléaire en toute quiétude) et un partenariat commercial avec la Chine.

L’Union européenne et la coopération franco-allemande, plus vitale que jamais 

L’ancrage de l’Allemagne dans l’Union européenne (UE) reste inchangé, celle-ci représentant, tel un roc dans la tempête, un élément essentiel de stabilité et de réassurance. La reconnaissance de cette valeur intrinsèque de l’UE ressort clairement du contrat de coalition signé par les trois partis de la « coalition feu tricolore » en novembre 2021 et dans lequel le nouveau gouvernement se déclare favorable à un renforcement des politiques européennes (1). L’attaque russe contre l’Ukraine n’a évidemment pas remis en question cet engagement, même si le fait que Berlin se replie davantage sur son allié américain peut faire naître des doutes quant au degré de l’adhésion allemande au concept « d’autonomie stratégique » de l’UE. Toutefois, les multiples déboires auxquels le Royaume-Uni est confronté depuis le Brexit et le rôle qui incombera à l’UE lorsqu’il s’agira, une fois la guerre terminée, de stabiliser, de reconstruire et d’intégrer l’Ukraine, montrent clairement l’importance cruciale de l’UE comme acteur politique et économique sur la scène internationale, acteur incarnant à la fois art du compromis, valeur de référence et capacité de résilience. Certes, le gouvernement Scholz n’affiche pas des ambitions démesurées en matière d’intégration européenne. Son objectif n’est pas de transformer l’UE en une fédération supranationale, perspective de toute façon très minoritaire au sein de l’Union. Mais dans un discours tenu à l’Université Charles de Prague, le 29 août 2022, Olaf Scholz clarifiait ses objectifs en matière de politique européenne en se prononçant en faveur de l’adhésion des Balkans occidentaux, de la Moldavie et de l’Ukraine à l’UE. Conscient du fait qu’une UE à 33 ou 35 ne peut fonctionner sans une réforme préalable de ses institutions, le Chancelier propose d’introduire le vote à la majorité qualifiée dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité (PESC) et la politique fiscale, deux domaines essentiels de la souveraineté nationale. Il se dit également favorable à des mesures permettant de revoir la composition des sièges au Parlement européen et le nombre de commissaires, un autre chantier de grande ampleur (2).

Ce chantier, l’Allemagne sait qu’il ne peut le construire sans son partenaire français — même si le Chancelier a omis de le rappeler dans son discours à Prague, maladresse qui n’a échappé à personne. Le couple franco-allemand a connu une période difficile en 2022, sur fond de divergences dues à la politique énergétique et au rôle du nucléaire, à l’annonce allemande d’achats massifs d’armements aux États-Unis, au soutien financier allemand à son industrie (à hauteur de 200 milliards d’euros), à un manque de communication évident entre les deux capitales, mais sans doute aussi à un style politique assez différent si l’on compare les deux chefs d’exécutif. Force est toutefois de souligner que le contexte intérieur est difficile pour eux — Emmanuel Macron est privé de majorité parlementaire et de soutien à ses projets de réforme, tandis qu’Olaf Scholz doit composer non seulement avec une coalition tripartite qui n’a jamais travaillé ensemble, mais aussi avec une aile gauche très influente au sein de son propre parti, le SPD. Ensuite, les chanceliers et présidents de la République qui ont formé les binômes des dernières décennies ont toujours eu besoin d’un temps d’acclimatation pour s’adapter aux différences culturelles entre la France et l’Allemagne. Le « couple Macron-Scholz » n’a donc pas encore vu le jour. En revanche, les gouvernements français et allemand peuvent s’appuyer sur un cadrage franco-allemand très solide : le traité d’Aix-la-Chapelle de 2019 a permis de lancer une petite trentaine de projets bilatéraux qui sont en cours de réalisation, impliquant acteurs politiques, experts et représentants de la société civile des deux côtés du Rhin — auxquels il faut ajouter une multitude de structures bilatérales (y compris à l’échelle gouvernementale) qui permettent de maintenir en vie la coopération entre les deux pays. Le moteur franco-allemand peut être grippé, mais il est en état de marche. Le 23e Conseil des ministres franco-allemand, qui s’est tenu le 22 janvier 2023, à l’occasion des 60 ans du traité de l’Élysée entre la République française et la République fédérale d’Allemagne, en a fourni la preuve (3).

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