Magazine Diplomatie

La Serbie, foyer du volcan balkanique ?

En 2018, les présidents serbe et kosovar semblaient sur le point de conclure un accord prévoyant un échange de territoire entre les deux pays. Où en est ce projet considéré par beaucoup comme dangereux ?

P. Mirel : L’échange de territoires promu à l’été 2018 par les présidents du Kosovo, Hashim Thaci, et de Serbie, Aleksandar Vucic, pour mettre fin à leur conflit bilatéral gelé depuis 1999, est pour l’heure enterré. Le Premier ministre kosovar, Albin Kurti, s’y est déclaré fermement opposé peu après son élection, début 2020. Cet échange reposait sur l’intégration à la Serbie des quatre municipalités du Nord du Kosovo, peuplées à 95 % de Serbes, contre le territoire albanophone de la vallée de Presevo en Serbie qui aurait rejoint le Kosovo.

Dès que cette idée fut rendue publique, elle fut vivement combattue dans les deux pays par les plus nationalistes. Si les Serbes du Nord Kosovo (environ 40 000) en auraient été satisfaits, cela revenait à abandonner la majorité de leurs compatriotes qui vivent dans des municipalités au sud et à l’est du pays, soit environ 70 000. Même sentiment d’abandon contre lequel s’est élevée l’Église serbe du Kosovo. Des raisons économiques ont également prévalu, le Kosovo perdant la mine prometteuse de Trepca ainsi que le lac et le barrage hydroélectrique de Gazivode. À l’ouest, on y a surtout vu le danger d’un effet d’entraînement dans l’ensemble des Balkans occidentaux. Quand bien même la Serbie et le Kosovo auraient négocié un traité de paix, comment garantir que des communautés albanophones, en Macédoine du Nord par exemple, n’auraient pas revendiqué leur séparation ? Et puis, quel beau précédent c’eût été pour la République des Serbes de Bosnie-Herzégovine, la Republika Srpska (RS), pour déclarer son indépendance et son rattachement à la Serbie !

Enfin, comment cautionner un projet mono-ethnique alors que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont dans leur gènes les droits des minorités à vivre en paix dans des frontières que l’on ne saurait remettre en cause sans entraîner le continent dans des tensions, voire dans de nouvelles guerres ? Si la haute représentante Federica Mogherini laissa entendre que l’on devrait s’en accommoder, c’est la chancelière Angela Merkel qui porta le coup de grâce au projet. L’envoyé spécial de l’UE, Miroslav Lajcák, a souligné récemment combien ce serait « une idée très dangereuse ». C’est aussi la position de l’administration Biden. Il n’est toutefois pas interdit de penser que si l’ancien président Trump revenait au pouvoir, il pourrait être tenté de raviver le projet, dans le cadre d’un accord global de stabilisation des Balkans.

Quelle est la situation des Serbes du Kosovo concentrés dans le nord du pays, et qui ne demeurent que partiellement intégrés au reste du pays ?

Pour être Serbe au Nord Kosovo, sans doute faut-il faire preuve d’un dédoublement de personnalité ! En effet, citoyens d’un Kosovo indépendant pour Pristina, les Serbes continuent à être considérés par Belgrade comme résidant dans un pays non reconnu. Ils sont de ce fait tiraillés entre des pressions et des obligations contradictoires. Le dialogue Kosovo-Serbie, facilité par l’UE à la suite de la Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies 64/298, a débouché sur de nombreux accords destinés précisément à améliorer la vie quotidienne des habitants. Mais leur interprétation souvent différente par les deux parties, voire le refus de les appliquer, ont créé des situations ambiguës et une grande lassitude. Et le refus par Pristina de créer l’Association des municipalités serbes, pourtant agréée dans l’Accord de Bruxelles du 19 avril 2013, n’a fait qu’amplifier méfiance et repli. Encore que le prétexte soit trop souvent invoqué par Belgrade pour ne pas faire d’efforts de son côté.

Si les Serbes participent aux élections à l’Assemblée nationale kosovare, c’est par la Liste serbe contrôlée par Belgrade. De plus, Belgrade s’est fortement impliquée en 2013 pour éviter le boycott des élections municipales par les Serbes. Résultat : la très grande majorité des municipalités sont liées à Belgrade, voire en dépendent. Les aides financières de la Serbie aux municipalités et services publics lui permettent de garder le nord comme un protectorat. Deux communautés donc qui vivent en fait de plus en plus dans des mondes parallèles, bien loin des espoirs que les succès du dialogue entre 2011 et 2013 avaient suscités.

Dans la réalité quotidienne, les Serbes ont donc très peu confiance dans les autorités de Pristina et sont autant acteurs que victimes des trafics et du crime organisé qui perdurent avec la Serbie. Et lorsque Pristina lance des opérations de police pour y mettre fin, des troubles éclatent et des barricades sont érigées, comme en octobre 2021. C’est alors aux troupes de l’OTAN, la KFOR, d’intervenir pour ramener le calme. Chaque litige et difficulté est amplifié par les médias serbes qui ont tôt fait de parler de guerre imminente. Il n’y a pas d’alternative à une intensification du dialogue, encadré par des procédures plus transparentes et strictes, dont le succès dépendra beaucoup de l’implication de la société civile et des perspectives d’adhésion des deux pays à l’UE.

0
Votre panier