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Le Pakistan face à des fragilités sécuritaires

Le Pakistan est un État pivot dans la géopolitique du monde musulman (1), comme dans celle de l’Asie. L’analyse de sa situation sécuritaire devrait donc être un sujet d’intérêt pour les diplomaties occidentales. Hélas, la priorité donnée à la « nouvelle guerre froide » sino-américaine, et l’intérêt naturel pour la guerre russo-ukrainienne éclipsent, encore une fois, la situation sud-asiatique. Et ce alors que le Pakistan est confronté à des difficultés bien réelles. 

Terrorisme et question afghane : les risques sécuritaires « classiques » 

Le danger terroriste, et les relations difficiles avec le voisin afghan, continuent à aller de pair. Même si certains ont pu applaudir à la chute de Kaboul, il est clair que pour les autorités pakistanaises, il aurait été autrement plus avantageux d’obtenir une paix de compromis entre le président Ghani et les Talibans. Cela aurait rendu l’arbitrage d’Islamabad indispensable entre anciens ennemis. Cela aurait également permis à Kaboul de ne pas perdre le soutien de la communauté internationale, donc, peut-être, d’éviter la crise économique et humanitaire à laquelle les Afghans sont confrontés aujourd’hui. Au lieu de cela, ils ont à leurs portes un nouveau régime, fier de sa victoire face aux Américains et à leurs alliés, dont les leaders ont un souvenir mitigé de leurs relations avec le Pakistan. 

En théorie, les Talibans afghans refusent que leur territoire soit utilisé pour attaquer leurs voisins, dont le Pakistan. En pratique, la chute de Kaboul a signifié la libération de 2300 combattants et combattants du TTP (Tehrik-e-Taliban Pakistan) ou Talibans pakistanais. Or en 2022, on constate, incontestablement, une montée en puissance des attaques terroristes. Au moins 450 personnes ont été tuées dans ces actions, attribuées et/ou revendiquées par le TTP en grande partie. Bien sûr, comme l’évoque le porte-parole de l’armée pakistanaise, on est loin de la vague de violences vécue quand la « guerre contre le terrorisme » battait son plein. Il demeure malgré tout incontestable, comme le rappelle un think tank pakistanais, le PIPS (Pak Institute for Peace Studies), que la chute du précédent régime, en Afghanistan, est à associer à une augmentation de 51 % du nombre d’attaques terroristes, en un an seulement (2). Le gouvernement pakistanais et des leaders du TTP ont tenté de mener un processus de paix en Afghanistan. Mais le dialogue a échoué, alors que Talibans afghans et pakistanais sont idéologiquement proches, plus encore sous le leader responsable de la renaissance du TTP, Mufti Noor Wali. 

Il est en fait logique qu’un processus de paix n’ait pas été possible, et que les Talibans afghans n’aient pas forcé le TTP au dialogue. Talibans afghans et pakistanais ont en commun une vision idéologique qui inclue un certain nationalisme pachtoune, contestant la ligne Durand comme frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Le TTP ne peut pas accepter la reprise en main et la sécurisation, par l’État pakistanais, des zones tribales frontalières entre les deux pays. Le ministre de l’Information des Talibans, Zabihullah Mujahid, l’a affirmé ouvertement, lors d’une interview en février 2022 : « La question de la ligne Durand n’a pas encore trouvé de réponse, alors que la construction d’une clôture frontalière [par le Pakistan] crée des failles au sein d’une nation répartie des deux côtés de la frontière. Cela revient à diviser une nation ». Ce discours est un signal clair envoyé à tous les Pachtounes, en Afghanistan comme au Pakistan : si les Talibans ont su s’ouvrir aux autres nationalités afghanes quand il fallait combattre les Américains, l’« Émirat islamique » compte bien toujours agir en représentant des aspirations nationales pachtounes (3). Cela explique les tensions à la frontière entre les deux pays. En fait, le changement de régime à Kaboul n’a pas réglé l’épineux problème de la ligne Durand, condamnant Islamabad avoir des relations toujours difficiles avec son voisin. Il faut s’attendre à d’autres accrochages à la frontière, et à une relation parfois orageuse entre Islamabad et Kaboul. La « guerre contre le terrorisme » est loin d’être terminée au Pakistan.

Le changement climatique, plus dangereux que le terrorisme ? 

Mais une analyse de la situation sécuritaire au Pakistan qui se contenterait de la seule approche classique du sujet ne serait pas complète. En effet, 2022 est une année qui aura prouvé au Pakistan que la stabilité du pays pouvait être mise à rude épreuve par des « ennemis » qui ne sont ni les Indiens, ni les Talibans. 

Il y a avant tout le changement climatique et ses conséquences. La ministre chargée des questions associées au changement climatique, Sherry Rahman, a affirmé en mai 2022, à raison, que cette question relevait, maintenant, au Pakistan, de la sécurité nationale. En effet, le réchauffement climatique peut rendre des situations difficiles plus problématiques encore, et pousser différents acteurs régionaux à une compétition violente pour des ressources de plus en plus rares (4).

Le ministère de Sherry Rahman existe depuis 2017, preuve d’un début de prise de conscience, hélas insuffisant face aux défis à relever. Et ce alors que le Pakistan est le cinquième pays le plus vulnérable face aux désastres naturels associés au réchauffement climatique, et le premier le plus vulnérable d’Asie du Sud, avant le Bangladesh ou le Népal. Mais toute la région est menacée : elle a globalement été victime d’inondations, de sécheresses, de canicules, de cyclones ayant des effets humains et économiques désastreux. 

En effet, cette vulnérabilité a un coût concret au Pakistan. De 1999 à 2018, 9989 morts sont attribuables au changement climatique, ainsi que des pertes économiques à hauteur de 3,8 milliards de dollars (5). Dans un avenir proche, l’impact environnemental du dérèglement climatique pourrait s’accroître. Les chiffres des dommages causés par les inondations au Pakistan, en 2022, sont vertigineux : autour de 2000 morts, au moins 12 800 blessés, plus de 2 millions d’habitations détruites ou endommagées, plus de 13 000 kilomètres de routes détruites (isolant plus encore des communautés villageoises pauvres qui ont été les premières victimes de la situation), plus d’un million de têtes de bétail perdues, et au moins 2,2 millions d’hectares de terres cultivables affectées (avec, encore une fois, des conséquences désastreuses pour les communautés rurales) (6).

Alors que l’Inde et le Pakistan continuent à se considérer comme des ennemis héréditaires, les deux pays voient deux de leurs villes les plus emblématiques — Mumbai pour la première, Karachi pour le second — menacées par la montée des eaux dans les décennies à venir. Leurs présences militaires respectives, face à face, sur le glacier de Siachen, entraînent sa fonte (7), avec les risques que cela implique. Et de fait, ces armées doivent être appelées à la rescousse par leurs capitales respectives pour mener des opérations de sauvetage dans des zones inondées. Un journaliste pakistanais célèbre, Hamid Mir, affirme que le réchauffement climatique est déjà plus dangereux pour son pays que le terrorisme (8). Si le problème n’est pas pris plus au sérieux dans la région, de fait, il pourrait vite devenir plus dangereux pour New Delhi et Islamabad que leur rivalité ancestrale. 

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