Magazine Carto

Suède : fin de neutralité et extrême droite au pouvoir

En septembre 2022, la Suède a porté au pouvoir une coalition au sein de laquelle l’extrême droite prédomine, mettant fin à huit ans de gouvernance sociale-démocrate. Alors que Stockholm renonce à sa neutralité historique et doit adhérer à l’OTAN pour contrer toute menace russe, l’Union européenne (UE) s’inquiète du renforcement d’un front eurosceptique jusqu’ici supporté par la Hongrie et la Pologne.

Bénéficiant de taux de croissance supérieurs à la moyenne de l’UE depuis près de deux décennies, la Suède est l’un des pays les plus dynamiques d’Europe, disposant d’une économie résistante aux crises, en particulier celle de la Covid-19. Cette situation s’explique en partie par une activité qui s’appuie sur une base industrielle ancienne et portée sur l’innovation et les nouvelles technologies avec des entreprises connues internationalement (Ericsson, Electrolux, H&M, Ikea, Spotify, Volvo). Attractif pour les investisseurs étrangers, le royaume se caractérise par un taux de chômage maîtrisé (5 % en juin 2022, selon Eurostat) et des secteurs d’activité dominés par les services et l’industrie, et une faible part de l’agriculture, tout en prônant une société du bien-être.

Une coalition dominée par l’extrême droite

Monarchie parlementaire où le roi – Charles XVI Gustave depuis 1973 – n’a qu’une fonction honorifique de chef d’État, le Riksdag suédois est composé d’une seule Chambre de 349 députés élus au suffrage universel à un tour et proportionnel pour quatre ans. Lors des législatives de 2018, les unions de partis de gauche et de ceux de droite ont fait quasi jeu égal, les premières l’emportant d’un mandat. Une coalition s’est formée sous l’égide du social-­démocrate Stefan Löfven, nommé Premier ministre. Lâché par les Libéraux début 2021 et confronté à une motion de défiance de l’extrême gauche, il démissionne en novembre, pour être remplacé par Magdalena Andersson. Fragilisé, le PSD n’a pas réussi à imposer la réforme de l’État-providence et la transition écologique au cœur de la campagne des législatives du 11 septembre 2022. Les débats se sont focalisés sur les questions de sécurité, d’immigration et de lutte contre la criminalité, dans un contexte d’intensification de guerre des gangs dans les banlieues suédoises sur fond de trafics de drogue, au point d’éclipser les enjeux sociaux. La mobilisation de Greta Thunberg et du mouvement Jeunes pour le climat, et une tribune signée deux semaines avant l’élection par près de 2 000 scientifiques suédois pour insister sur les défis climatiques n’auront pas suffi à éveiller les consciences.

Héritier d’une formation néonazie, créé en 1988, le parti d’extrême droite Démocrates de Suède (DS) a opéré une percée significative en gagnant 20,5 % des voix et 73 députés, devenant la deuxième force politique du pays derrière le PSD (30,3 % et 107) et devant les modérés (19,1 % et 68). L’alliance inédite entre ces derniers, DS, les Libéraux (16 sièges) et les Chrétiens-démocrates (19) permet de devancer de trois sièges (176, contre 173) la coalition de gauche du gouvernement sortant. Depuis son entrée au Parlement en 2010, avec 20 sièges, DS a continué sa progression, en en obtenant 49 aux législatives de 2014, puis 62 à celles de 2018, avec, à chaque fois, un nombre plus important de voix. Cette même tendance s’observe lors des différents scrutins régionaux et municipaux, le parti réussissant à diriger quatre communes (Hörby, Staffanstorp, Bromölla, Sölvesborg) depuis 2018. Fait notable : ces gouvernements locaux d’extrême droite ont été possibles grâce à des alliances avec les Modérés et/ou les Chrétiens-démocrates, marquant un changement dans la perception du parti DS sur l’échiquier politique, alors qu’il ne renonce pas à ses idées radicales (favoriser les énergies fossiles, retrait de l’accord de Paris sur le climat, lutter contre l’immigration, islamophobie, non-intervention de l’État dans l’économie…). Pour séduire ses alliés conservateurs, le mouvement accepte le principe de rester dans l’UE – tout en gardant un discours eurosceptique – et d’adhérer à l’OTAN.

La fin de plus de deux siècles de neutralité

Cette fragile coalition a fort à faire avec la prise de présidence tournante de l’UE pour six mois en janvier 2023 et la finalisation de la candidature historique du pays à l’Alliance atlantique, à laquelle la Turquie s’est encore opposée en octobre 2022 en raison du supposé soutien de Stockholm aux mouvements kurdes.

Malgré un attachement ancien au pacifisme, au multilatéralisme, au non-­alignement et à l’universalisme des Droits de l’homme, la Suède a progressivement abandonné sa référence séculaire (depuis 1814) à la neutralité. Si elle est membre de l’UE depuis 1995 et de l’espace Schengen tout en refusant l’euro, le traumatisme de la guerre en Ukraine lancée en février 2022 et la menace russe sur la mer Baltique l’ont fait basculer elle et son voisin finlandais dans le camp d’une adhésion rapide à l’Alliance atlantique. Après avoir réintroduit le service militaire obligatoire en 2017 et remilitarisé l’île stratégique de Gotland, l’objectif principal de Stockholm est de se placer sous le parapluie américain et la dissuasion nucléaire de l’OTAN. 

Géographie politique et économique de la Suède
Article paru dans la revue Carto n°74, « Révolution en Iran : un régime en sursis ?  », Novembre-Décembre 2022.

À propos de l'auteur

Thibaut Courcelle

Maître de conférences en géographie à l’Institut national universitaire Champollion (Albi), analyste pour Carto.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

À propos de l'auteur

Gaëlle Sutton

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

0
Votre panier